J'ai vu "Diamond Island" quelques jours après Noël et j'en suis sorti très enthousiaste. Une belle sensibilité, une tendresse toute particulière à l'adresse des personnages et un grand soin porté à la technique font de ce film sur une jeunesse sacrifiée une oeuvre lumineuse toute empreinte de mélancolie. Un 1er film formidable !
Cela aurait pu s'arrêter là... Il en fut autrement. Des images, des séquences, continuaient de me poursuivre régulièrement. Je me suis mis à en parler très largement à mon entourage, à le défendre avidement face à quelques méchantes réflexions ça et là. Quelque chose d'assez particulier se passait avec ce film. Je me suis donc décidé à le revoir.
Avec un œil plus critique toutefois, et l'effet de surprise sur le côté formel estompé, force est de reconnaître que "Diamond Island" est un des grands films de l'année !
A commencer par le sujet. Bora, post adolescent vit avec sa famille en campagne. Ce n'est ni l'opulence, ni la misère. Simplement, quand on a 18 ans, et que l'on découvre ce qu'offre la vie dans les grandes villes, on a qu'une envie, en profiter aussi. Il quitte donc son village pour aller travailler dans une espèce d'Eldorado, cité rêvée pour la classe aisée, Diamond Island. C'est un modeste emploi sur un chantier, certes, mais qui lui permet de partager un peu de cette vie dorée le soir en compagnie de ses amis. Cette idée de départ est brillante. Davy Chou fait le choix de nous parler de cette jeunesse des classes intermédiaires, majoritaire (comme un peu partout dans le monde) mais peu "médiatique". Du Cambodge, on nous parle plus facilement de ces gamins des bidonvilles (comme dans le récent "Les pépites") dont l'espoir d'un meilleur est quasi nul, ou de ces jeunes filles ou hommes, beaucoup plus privilégiés, de la classe des nouveaux riches d'un pays émergent et qui partent à la course du nouvel iPhone et autres signes extérieurs de bling bling.
Bora devient alors une espèce de symbole, charnière entre les milieux aisés et celle de la préécarité, mais aussi entre un Cambodge encore imprégné de l'héritage des Khmers rouges et celui résolument tourné vers un futur, moins traditionnel et beaucoup plus libéral. Il est le fruit de cette révolution sociétale, économique et sociale qu'a connu la pays.
Mais, et c'est là où Davy Chou est particulièrement convaincant, la tableau est loin d'être idyllique. Les dommages collatéraux sont terribles, et se sortir de cette pauvreté a non seulement un prix, mais génère aussi sacrifices et amertume.
Le choix de cette île de Diamond Island est tout aussi symbolique. Peu accessible, elle se trouve à quelques encablure de Phnom Penh, si proche et en même temps si loin de cette ville bouillonnante pétrie par son histoire. La parabole n'en est que plus forte ! Pour avancer, le pays n'a comme solution que de faire table rase du passé et construire sur l'ancien à l'image des nombreux vieux quartiers rasés pour édifier ce morceau de ville idéal !
Mais Bora n'est pas qu'un argument scénaristique, c'est avant tout une belle personne. Candide, généreux, soucieux de ses origines, il se construit sous nos yeux avec ses propres armes à l'état d'esprit sain. Il est une espèce d'ange sacrifié qui porte en lui l'espoir d'un avenir plus radieux.
Ce message fort, ne pouvait s'accompagner que d'une mise en scène subtile. Le clinquant ( à la manière d'un "Divine" par exemple) l'aurait étouffé, le sentimental ( à l'image de "Umrika") l'aurait discrédité. Davy Chou s'est entouré d'une équipe d'exception, on peut saluer dans ce sens la collaboration Franco-Cambodgienne autour de ce film. La photo de Thomas Favel est au plus proche de l'action, elle se fait réaliste dans le quotidien, féérique sur cette cité futuriste et dans tous les cas nimbe délicatement chaque protagoniste. Certains plans tout simplement sublimes. La bande son est elle aussi très travaillée, Vincent Villa participe aux ambiances avec beaucoup de dextérité et d'originalité (variations, silences, juxtaposition...) auxquelles la bande originale de Jérémie Arcache et Christophe Musset répondent délicatement. La mise en scène est quant à elle habilement frugale, ne visant que l'essentiel.
On ne sort pas tout à fait indemne de ce premier film, Bara (Sobon Nuon est remarquable) mais aussi Solei, Aza, Dy Virak sont émouvants, drôles, vivants ! Et si la vie sacrifie leur innocence, ils sont un ensemble de spectres étincelants dont l'âme viendra vous hanter pour longtemps !