Diamond Island (Koh Pich en cambodgien), au confluent du Mékong et de la Bassac river à Phnom Penh, est l’endroit choisi par des promoteurs pour édifier un complexe luxueux qui attirerait les privilégiés fortunés en plein cœur d’une ville à l’activité de fourmilière, qui digère son passé tumultueux. Ce projet immobilier attire beaucoup d’envies et d’énergie.
Comme bien d’autres avant lui, Bora (Sobon Nuon) décide que le moment est venu pour lui d’y chercher du travail. Pour cela il abandonne son village et sa mère. Non sans regrets, il quitte cette dernière avec la promesse de lui donner des nouvelles.
Sur place, Bora découvre un univers très coloré où il apprend à trouver sa place, malgré des rapports qu’il ne maîtrise pas toujours (le gros bras qui veut sortir avec la plus belle fille). Il a 18 ans et son avenir devant lui. Avec ce qu’il gagne, il peut se nourrir et trouver un endroit où dormir. Mais il est à l’âge de tous les possibles et les regards des filles l’obsèdent.
Davy Chou montre le Cambodge et c’est déjà un point très positif, car il le connait suffisamment bien pour choisir quoi et comment montrer ce qui l’intéresse (sa filmographie propose un documentaire sur l’histoire du cinéma cambodgien). Il se montre également capable de prendre son temps pour filmer les lieux et la façon dont ses personnages évoluent. Son étonnante utilisation des couleurs (aussi bien pour les accessoires de décor, les éclairages que les vêtements), dans des tons très variés qui vont du pastel au fluo, va de pair avec la beauté des visages de ses personnages. Au premier abord, le spectateur français pourra être séduit par un certain exotisme (l’ambiance dans la ville, les paysages avec leur végétation typique, les couleurs de peaux et les traits des visages). Le réalisateur s’attarde également sur des attitudes, des scènes pas spécialement originales (de drague par exemple), qui dégagent néanmoins un tel charme qu’elles ne peuvent que marquer les mémoires. Exemple typique avec une scène de balançoire où l’on attend le moment où celle-ci s’immobilise un court instant avant de redescendre pour s’imprégner du grain d’une peau, de la beauté d’un visage serein. Autre exemple, sur le chantier cette fois, avec des ouvriers qui lancent des parpaings à d’autres en face d’eux à l’étage supérieur : les gestes et trajectoires apportent une incroyable douceur dans cette entreprise avant tout physique. On retient donc que Davy Chou manie avec bonheur la caméra et qu’il sait capter des ambiances où de petits rien apportent une touche personnelle. Suffisamment pour justifier l’expression « bijou pop » mentionnée sur l’affiche.
Très bien, mais qu’y a-t-il derrière cette belle façade ? C’est la faiblesse d’un film où Davy Chou semble se complaire dans l’esthétisme (ici, même les grues du chantier sont colorées), au point qu’on peut se demander si son état d’esprit ne serait pas comparable à celui de ses jeunes personnages fascinés par les lumières de la ville. Or, le projet « Diamond Island » n’apportera qu’une brève activité à ces jeunes attirés là comme des insectes par la lumière et la chaleur. Que deviendront-ils ensuite ? Peuvent-ils se contenter de vivre de peu dans l’insouciance du lendemain ? C’est bien le réalisateur qui choisit de présenter le projet « Diamond Island » (le titre de son film) sous la forme d’une animation numérique particulièrement clinquante. Attiré par la ville et ce projet qui lui procure du travail, Bora risque d’y perdre toutes ses valeurs, aspect fondamental que le film ne traite que négligemment.
Heureusement, Davy Chou apporte un élément qui tranche dans cette ambiance un peu sirupeuse, avec Solei (Cheanick Nov), grand frère de Bora. Ce dernier le retrouve dans le quartier où il sort le soir avec ses copains. Les retrouvailles donnent le ton, puisqu’on n’apprend pas immédiatement que Solei est le frère de Bora. Le premier face à face est mutique, comme s’ils se jaugeaient (au point qu’on se demande si Bora ne guette pas plutôt les filles avec qui Solei discutait). Solei s’inquiète d’abord de leur mère, puis des conditions d’existence de Bora. Le visage de Solei tranche par rapport à ceux de Bora, de ses copains et des filles avec lesquelles les garçons tentent de flirter (approches maladroites par inexpérience, rires nerveux, etc.). Solei affiche un visage assez tranquille mais impassible, le visage de celui qui ne veut pas se livrer. On ne saura jamais exactement quoi penser de ce qu’il répond à Bora sur ce qu’il a fait ces dernières années. Solei est plus vieux que Bora, mais on sent qu’il est également d’une autre trempe. Certes il a fait le chemin vers Phnom Penh bien avant Bora, mais il ne voit pas la capitale comme son ultime destination, il voit nettement plus loin. Pourquoi reste-t-il aussi mystérieux ? Sans doute parce qu’il veut éviter le piège du sentimentalisme, tout ce qui pourrait l’inciter à retourner en arrière parce qu’il s’inquiète des siens, en particulier de leur mère. Lui aussi fait des recommandations à Bora et il ira jusqu’à lui faire des propositions d’avenir, parce que la famille c’est sacré.
Ce sont donc les relations familiales qui font de ce film une œuvre qui dépasse l’aspect esthétique qui retient d’abord l’attention.