Neill Blomkamp, originaire d’Afrique du Sud, se fait repérer en 2006 avec son court-métrage Alive in Joburg où il imagine, dans un style documentaire, la ville de Johannesburg en proie à des problèmes d'immigration et d'intégration extra-terrestres (il avait déjà réalisé deux courts-métrages moins aboutis : Tetra Vaal et Adicolor Yellow).
Il dirige ensuite Tempbot, un autre court-métrage d’une grande discrétion et enfin une série de trois courts-métrages en 2007 dans l'univers de Halo que sont Halo : Arms Race, Halo : Combat et Halo : Last One Standing, assemblés et appelés collectivement Halo : Landfall.
Neill Blomkamp est alors choisi par le réalisateur et producteur Peter Jackson pour réaliser l'adaptation du jeu-vidéo Halo : Combat Evolved. Les deux cinéastes se sont rencontrés au Festival de Deauville et Neill Blomkamp nous raconte pourquoi tout a commencé et comment tout aurait pu s’arrêter :
Après avoir repéré l’une de mes demos, Peter Jackson, qui cherchait un réalisateur pour Halo, m’a fait venir dans son studio en Nouvelle-Zélande. Il a traîné avec moi pendant une semaine pour voir si j’étais la bonne personne. Il a trouvé que oui… Mais au bout de cinq mois, le projet a capoté. J’avais déménagé de Vancouver où j’habite depuis mon adolescence, je m’apprêtais à y rentrer, hyper déçu. Mais Peter ne m’a pas laissé repartir. Le jour d’après, il m’a proposé de réaliser un film dont il serait le producteur. Son approche était de monter le film avec peu d’argent, imaginer un truc dingue, en toute liberté.
Malgré quelques essais prometteurs, le film est annulé à cause d'un budget jugé excessif. Auréolé du triomphe de sa trilogie du Seigneur des anneaux, Peter Jackson se croyait assez puissant pour faire exister un film avec, comme seuls arguments, son désir et son intuition, mais faute de financement, son projet tombe à l’eau. Peter Jackson et Neill Blomkamp se dirigent donc vers un film moins chère avec les accessoires et les éléments initialement conçus pour le film Halo.
Neill Blomkamp co-écrit un scénario avec sa femme Terri Tatchell, et choisi de tourner son futur film à Johannesburg en Afrique du Sud, son pays et sa ville natale.
Mari et femme se tournent alors vers un projet plus personnel qui reprend la trame et le style de son court métrage Alive in Joburg tout en la développant. Sans contraintes, comme prévu par son producteur Peter Jackson.
District 9 sort en 2009, racontant la survie de quelques extra-terrestres qui ont trouvé refuge à Johannesburg et qui sont traités comme des immigrés clandestins obligés de travailler pour le MNU (Multi-National United).
Neill Blomkamp et sa femme Terri Tatchell nous replonge dans le monde fictif déjà exploré dans Alive in Joburg, choisissant des personnages, des moments et des concepts qu'ils trouvaient intéressants, notamment la réalisation de films de style documentaire, des interviews mises en scène, la conceptions des extra-terrestres, des technologies et combinaisons proche des Mecha et les parallèles avec les conflits et ségrégations raciaux en Afrique du Sud, et étoffer ces éléments pour le long-métrage.
Le film est une allégorie de l'apartheid, les extra-terrestres incarnent en effet parfaitement la place des noirs dans la société sud-africaine dans les années 60-80 au crépuscule de la domination blanche : ils sont parqués, en marge de la société, dans des ghettos insalubres, criminogènes et de plus en plus gros sans que les autorités ne sachent quoi en faire. Bien qu'ils soient globalement pacifiques, leur démographie en pleine explosion menace à moyen terme l'ordre social. Le film traduit bien l'angoisse existentielle des blancs sud-africains dans la seconde moitié du XXème siècle lorsque leur domination sur l'Afrique du Sud était en train de se fissurer. Le film de Neill Blomkamp est finalement une fable humaniste qui vise non seulement à dénoncer le racisme systémique, qui gangrène encore aujourd'hui la société sud-africaine, mais aussi à représenter le chaos de la société sud-africaine.
Le titre du film est d'ailleurs calqué sur le nom d'une zone résidentielle d'un quartier difficile du Cap, qui fut déclarée zone réservée aux blancs par le gouvernement en 1966 : le District 6. Soixante milles de ses habitants en furent expulsés de force et relogés à Cape Flats, 25 kilomètres plus loin.
Sous couvert de faire un film de science-fiction, Neill Blomkamp n’a de cesse de parler des années noires (blanches en l’occurrence) de la ségrégation évoquées directement par des lieux symboliques : Johannesburg, la capitale économique et surtout l’ancien township de Sowetto en partie reconstitué pour le tournage. La réutilisation dans le scénario d’images d’archives montrant les grandes manifestations anti-Apartheid sert également de piqûre de rappel. Parallèlement, Blomkamp en profite pour délivrer quelques messages politiques vers d’autres cibles. Le chef de la mafia nigérienne qui sévit dans le camp et auquel le réalisateur attribue le nom de l’ex-dictateur nigérian Obasanjo en est un bon exemple. Rapprochement qui vaudra d’ailleurs au film d’être censuré au Nigeria.
Mais si le cinéaste fait le bilan d’une histoire sud africaine peu reluisante, le film n’en est pas moins d’une étonnante modernité. Métaphoriquement, le film met en scène la question des flux migratoires. Le terme de crevettes qui désigne péjorativement les extra-terrestres, fait d’ailleurs écho aux crevettes de Parktown, les criquets royaux aux invasions redoutées par les Sud Africains. Ainsi, Neill Blomkamp parle d’un Apartheid révolu, mais également de la crainte de l’étranger toujours à l’œuvre lorsqu’il réalise son film. En effet, les arrivées en Afrique du Sud de travailleurs venus des pays limitrophes, Nigeria et Congo notamment n’ont cessé d’alimenter les tensions raciales depuis la fin de l’Apartheid.
Un récit engagé, historique et moderne qui valu à Neill Blomkamp et sa femme Terri Tatchell, l’Oscar du meilleur scénario adaptée en 2010.
La musique est composée par le compositeur Clinton Shorter, qui a passé trois semaines à préparer le film. Neill Blomkamp voulait une partition brute et sombre, mais qui conserve ses racines sud-africaines. C'était un défi pour le compositeur, qui trouvait qu'une grande partie de la musique sud-africaine avec laquelle il travaillait serait optimiste et joyeuse. Clinton Shorter va alors présenter de la musique kwaito (genre musical ayant émergé à Johannesburg, en Afrique du Sud, pendant les années 1990.
Mais la trouvaille géniale du film, c’est avant tout le personnage de Wikus Van de Merwe incarné par Sharlto Copley (qui avait produit et joué dans le court-métrage Alive in Joburg). Impayable en pantin décérébré de la machine étatique, il met à exécution la déportation des extra-terrestres avec sourire et décontraction. Personnage à la limite du burlesque avec son look ringard, sa naïveté confondante et son air de premier de la classe.
Sharlto Copley incarne le cynisme des autorités que Neill Blomkamp dénonce entre les lignes avec un humour décapant. Comme ce trafic de boites de nourriture pour chat dont raffolent les crevettes et qui s’échangent à prix d’or. Ce n’est qu’à la faveur d’une transfiguration, dans tous les sens du terme, que l’anti-héros Wikus Van de Merwe accède à une prise de conscience paradoxale : c’est en devenant l’autre (l’extra-terrestre, au sens étymologique du terme) qu’il deviendra plus humain. Une parabole à méditer.