Si Truffaut avait pris le scénario de Ray Bradbury pour en faire la matière d’un dérivé de Un dos tres, nous ne connaîtrions pas Fahrenheit 451. Par contre nous aurions un ancêtre de Divergente. La nouvelle franchise dystopique, ouvertement dans la lignée de Hunger Games, est produite par Summit Entertainment, société connue pour une autre adaptation ciblant les adolescent(e)s : la saga Twilight. Ce premier Divergente laisse peu d’espoirs pour la suite de franchise : il y a mille choses à explorer, mais l’essentiel est trop copieusement zappé dans ce premier opus pour donner des raisons d’y croire.
Dans un futur indéterminé, la société est divisée en cinq factions : les Érudits (les scientistes et rationnels), Fraternels (les travailleurs bucoliques), Sincères (ceux qui rendent la Justice), Altruistes, Audacieux. Chaque individu naît dans une de ces factions, puis doit faire un choix définitif à 16 ans, en restant dans sa faction ou s’engageant dans une autre. Tous passent un test peu avant leur choix afin d’évaluer ses aptitudes, l’immense majorité étant renvoyée à sa faction d’origine. Le test indique à Béatrice/Tris qu’elle est une divergente, c’est-à-dire qu’elle ne se fond dans aucune catégorie – elle est à la fois Altruiste, Audacieuse et Érudite (à moins que la passeuse n’ait fini de tout citer?).
Béatrice doit alors cacher cette découverte à l’heure où les Divergents sont pourchassés par les services de l’Etat, en tout cas par la direction des Érudits (confusion totale sur le gouvernement de la société). Béatrice choisit de rejoindre les Audacieux, alors que son frère s’engage chez les Érudits (il avait pourtant l’Altruisme « dans le sang » selon elle). Début du gâchis. L’ado pas si à l’aise dans son monde tranche donc pour le camp le plus expressément badass, celui des casse-cous dont l’apparence est tellement cool, la peau si lumineuse, le mode de vie si sauvage et tout cela sans cicatrices. Elle est à la peine au départ mais réussira à se dépasser ; cependant la directrice des Erudits, Jeannine (Kate Winslet), s’intéresse manifestement à son cas et semble éprouver un mélange de respect et de suspicion.
Divergente réussit à rester aimable de A à Z parce qu’il ne jette jamais définitivement à la poubelle l’immense potentiel de son univers ; il deale avec lui et le laisse endormi, tout en proposant par-dessus un film d’action proche du soap mais plutôt intense. La frustration est permanente mais il y a néanmoins un certain plaisir à suivre ces aventures, capable de compenser un esprit critique en plein désarroi. Divergente a peu de sens politique, cela lui évite au moins la démagogie lénifiante de Elysium, mais dans ses discrètes affirmations partiales il n’en est pas moins ridicule : heureusement Divergente va un peu plus loin que le simple motif de la froide rationalité méprisant la vie humaine défendue avec acharnement par des idéalistes émotifs.
Ainsi les Érudits (les rationalistes apôtres d’une post-Humanité, donc) utilisent les Audacieux pour dégommer les Altruistes ; comme si Thatcher utilisait Bernard Tapie pour atomiser Arlette Laguiller. En marge les intellos dictateurs cherchent à éradiquer les Divergents, c’est-à-dire tous les non-conformes ; en tant qu’esprits illuminés, ils sont pourtant les plus disposés à les comprendre, mais ne peuvent prendre le risque de laisser ce genre de génies indisciplinés et sensibles secouer le nouvel équilibre qu’eux cherchent à installer. Tout ça est foncièrement crétin mais si caricatural que Divergente y gagne des allures de grande synthèse vulgaire de la SF humaniste.
Divergente est relativement immersif, mais sa grossièreté heurte à chaque minute ; son script est excellent, ses choix au rabais ; il est très bien armé, il élude le meilleur pour briller sur des aspects plus médiocres. Intellectuellement c’est un gâchis manifeste, souvent d’un point de vue logique également. Ce niveau de cécité permet d’éviter la stupidité profonde d’un blockbuster niaiseux se confrontant à trop grand pour lui, mais n’empêche pas de tout ramener au schéma dystopique le plus simplificateur. Certains avatars malins sont employés (« la faction avant les liens du sang ») mais tous les petits éléments valables sont des résidus du génie des autres et jamais ne serait-ce que des ébauches de la part de Neil Burger et son équipe.
Sincères et des Fraternels sont carrément jetées aux oubliettes ; les interactions entre les groupes sont confuses. Tris rend visite à son frère, mais est confinée le reste du temps. Rien de la vie dans ce monde post-apocalyptique n’est éclairé et on ne saura pas comment la mère de Tris a pu la rejoindre discrètement. Cette absence de boussole théorique pose problème au film bien plus que son option romantisme ado. Les séquences sensorielles ‘magiques’ (wannabee SpiderMan sur du M83) toucheront le cœur de cible et réussissent leur effet. L’ensemble est assez équilibré et l’absence de courage est compensée par une savante gestion, un rythme soutenu : comme thriller régressif dans un contexte dystopique, c’est opérationnel.
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