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Il y a environ 20 ans sortait un incontournable du cinéma français. Un film qui, sans aucun doute, fut à l’origine d’une vague de scénarios traitant de la vie moderne en banlieues françaises : La Haine de Matthieu Kassovitz. Drames ou comédies, nombreux se sont essayés d’aborder le point de vue des cités, souvent décrié avant même d’être compris. Mais combien ont vraiment marqué les esprits ? Pour un premier film, Houda Benyamina signe, avec Divines, la preuve qu’en 20 ans, il est toujours possible d’apporter fraîcheur et légèreté à ce genre de sujet souvent sensibles. La force du film est sa grande diversité de thèmes abordés et le naturel avec lequel ils le sont. Nous suivons donc l’évolution de vie de deux banlieusardes qui n’aspirent qu’à une chose : une vie meilleure.


Si le film est si rafraîchissant, c’est en grande partie parce que les rapports de force sont inversés entre les genres. Les deux personnages principaux sont des jeunes filles, Rebecca est la cheffe de son réseau et c’est un homme qui est représenté pour la danse (que ce soit l’apprenti ou le professeur). Peut-être est-ce là une traduction d’un féminisme latent, toujours est-il que c’est précisément ce qui rend les personnages attachants. Alors que nous sommes habitués à suivre la haine et le désir de vengeance à travers les yeux d’hommes, cette approche apporte son lot de nouveauté. Nous sommes confrontés à une nouvelle vision, une nouvelle sensibilité et cela permet de briser le manichéisme trop souvent développé par les diverses productions. On peut donc constater que les femmes aussi ont un rôle majeur dans l’évolution de cette vie de cité et ce n’est pas pour déplaire. Elles sont ici les instigatrices, elles créent la mouvance, et pourtant se maintiennent à un parfait pied d’égalité avec les hommes. C’est un rapport de force constamment remis en question afin d’atteindre un équilibrage strict et parfait dans l’égalité des sexes. Briser ainsi cette habitude est également l’un des meilleurs atouts comiques de cette histoire. C’est un drame certes, mais le naturel humoristique de certaines situations permet d’alléger le contexte du film tout en conservant la crédibilité de son message. Les relations entre les personnages se développent de manière très limpide et ceux-ci sont cohérents. C’est en grande partie leur évolution qui fait que tout le scénario fonctionne aussi bien.


On voit les personnages gagner en maturité tout au long de l’histoire, et même si certains caractères évoluent, ils restent fidèles à eux-mêmes. Rebecca par exemple, montre une certaine sensibilité mais agit et réagit constamment comme un véritable patron dont seuls ses profits ont de l’importance. C’est ce qui la rend à la fois attachante et menaçante. C’est cependant la relation entre Dounia (Oulaya Amamra) et Maimouna (Deborah Lukumuena) qui mérite la mention spéciale. Non seulement une véritable osmose entre les deux personnages se fait ressentir et transcende le simple cadre du film, mais c’est leur complémentarité qui donne toute la sève à l’histoire. On les sent indestructibles lorsqu’elles évoluent ensemble, elles transmettent une passion, une volonté, et ce n’est malheureusement pas si fréquent de ressentir cela de la part d’un duo au cinéma. Leur union évoque une telle force qu’on a le sentiment qu’elles pourraient tout surmonter grâce à leur amitié.


Si les personnages sont extrêmement bien étudiés, il subsiste plusieurs défauts dans la construction narrative. Quelques intrigues s’effondrent totalement suites à des clichés largement évitables. Plusieurs séquences laissent un léger arrière goût de déception. La simultanéité du rendez-vous de Dounia et la représentation de son petit-ami par exemple. Même si la finalité de cet acte est bien gérée, son déroulement est quelque peu gâché rendant la relation plus pauvre qu'elle ne l'est. Certaines actions, certains passages des différentes intrigues sont assez prévisibles, ceux concernant Rebecca font la puissance du personnage, pour d'autres, comme la scène en boîte de nuit, cela donne juste la sensation d'un manque de développement.


En résumé pour un premier film c’est une réussite. La question de l’égalité entre les sexes ou de la légitimité de la femme n’est même pas vraiment une question centrale du film, mais la crédibilité de ses personnages et la puissance de leur relation impose cette nouvelle vision de l’histoire. Initialement c’est la vie en cité qui est racontée ici, mais on la connaît sous tant de formes différentes qu’on y prête qu’un intérêt modéré. En revanche, le développement humaniste des personnages rend tout l’attrait que l’on peut avoir pour eux. Et finalement c’est de loin ce qui fait la force de ce film. Nous ne sommes pas attristés par leur quotidien, car ils ne le sont pas eux-mêmes, mais on aspire à ce qu’ils aspirent, car ils ont la volonté de grandir.

Notry
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le 11 nov. 2018

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