…du moins, au départ. Django Unchained, un titre à lui seul plein de promesses, invoquant une figure mythique du western spaghetti, transposée sur la personne d’un esclave noir aux Etats-Unis, le tout sous la direction de Quentin Tarantino. De quoi mette l’eau à la bouche, surtout au vu de la filmographie de ce dernier dans laquelle l’influence du western a toujours été très présente. Avec un casting prestigieux et une durée imposante de 2h45, c’était un peu quitte ou double pour « QT », qu’en est-il ?

Django est avant tout le personnage principal, mystérieux et taciturne, d’un western spaghetti de 1966, relativement peu connu par rapport aux œuvres d’un certain Sergio Leone. Un personnage incarné par le charismatique Franco Nero, que l’on rencontra d’ailleurs dans le présent film au détour d’un sympathique clin d’œil, originalement tout vêtu de noir et traînant derrière lui un cercueil. Difficile de faire mieux en termes de classe, mais comme pour échapper à toute comparaison, le Django nouveau n’a presque rien à voir avec son prédécesseur. Pour tout dire, si ce n’était pour le nom, il est probable que l’on n’aurait pas spécialement pensé à l’original en voyant Django Unchained.

Nous voilà donc en plein milieu du XIXème siècle aux Etats-Unis où, si vous me permettez l’expression, l’esclavagisme bat son plein. Comme une évidence, le personnage nous est introduit pendant le générique avec en fond la musique composée pour l’original (« Djangoooooooooooo ! »), enchaîné et marchant péniblement aux côtés d’autres esclaves. Il ne faudra pas longtemps pour qu’un jovial et cultivé dentiste, incarné par le désormais reconnu Christoph Waltz, ne vienne le sortir de cette situation. Mais ne spoilons pas plus, il serait dommage de ne pas garder la surprise des évènements dans un tel film.

Comme l’a fait remarquer Tarantino en interview, l’esclavage est un thème quasi tabou aux Etats-Unis, extrêmement peu représenté dans leur cinéma. Souvent les plus prompts à analyser et employer des sujets récents tels que le 11 septembre ou la traque de Ben Laden, leur cinéma est bien plus frileux lorsqu’il s’agit de s’emparer de leurs plus grands traumatismes internes. Comment se saisir d’un tel sujet pour en faire un divertissement accessible sans déraper dans un sens comment dans l’autre ? Tarantino a probablement trouvé la réponse dans son style habituel, à la fois détaché, cynique et n’épargnant personne. S’il aide en quelque sorte le spectateur à choisir son camp avec un allemand cultivé qui s’oppose à l’esclavagisme et un ancien esclave prêt à mourir pour retrouver sa femme, il ne matraque pas pour autant les bons ou mauvais côtés des personnages.

Les défauts et contradictions des deux « héros » et de leur condition particulière seront par exemple régulièrement exposés par d’autres personnages tout au long de leur périple, et ceux à qui ils se retrouveront opposés ne sont pas si bêtement méchants. Tout le monde avait bien compris en voyant la bande-annonce que DiCaprio jouerait leur antagoniste majeur, et il n’y a pas de surprise là-dessus. Il est par contre très agréable de constater qu’il est loin d’être unilatéral, plus businessman que vrai sadique.

Toutes proportions gardées, on peut penser au méchant du dernier James Bond, raffiné, propre sur lui, bien vêtu, éloquent, tout en gardant une pointe d’imprévisibilité et de folie qui le rendent d’autant plus imposant. Il faut dire que le rôle était parfait pour DiCaprio, enfin un rôle des plus ambigus sur lequel il peut passer par les différents registres de son jeu, et surtout sans jamais en faire trop. Comme Waltz dans Inglourious Basterds, il parvient à rester constamment sur le fil entre cabotinage et plaisir de jouer un salaud, ce qui n’est que plus délectable dans l’univers de Tarantino, à peu près le seul que je vois où un Calvin Candie ayant une propriété du nom de Candyland puisse être crédible.

L’autre intérêt du film, clairement mis en avant par la promo, était l’aspect « violence fun » (oui cette expression est incroyablement moche mais je n’ai pas trouvé mieux). Le rapport à la violence de Tarantino est un sujet qui aurait fait couler de l’encre plus que de raison sur à peu près toute sa carrière, se voyant reprocher de banaliser la violence ou de la rendre trop plaisante à l’écran. Des reproches passablement stupides qui sont depuis focalisés sur le monde du jeu vidéo, il est devenu quasi obsolète de critiquer cet aspect dans un film. On observera d’ailleurs que les polémiques autour du film proviennent plus des incartades de Spike Lee ou de l’usage fréquent du mot « nigger » que de l’utilisation de la violence, alors qu’elle est assez largement mise en avant.

Il a d’ailleurs souvent tendance à adapter la violence graphique au contenu du film, là où dans Kill Bill les démembrements donnaient lieu à de véritables geysers de sang totalement surréalistes, dans Django Unchained on retrouve quelque chose de plus proche de Peckinpah telle qu’il la concevait dans Croix de fer ou La horde sauvage, à savoir des explosions de poches de sang légèrement surdimensionnées. Avec ceci il fait d’une pierre deux coups, premièrement il évite l’utilisation d’effets numériques qui sont encore à l’heure actuelle difficiles à croire, et deuxièmement cette exagération vient quelque peu désamorcer cette violence qui aurait pu être choquante, pour la rendre assez jubilatoire. Il y a par contre un contraste entre l’utilisation des armes à feu où presque tout est exagéré, et celles du corps à corps ou d’objets contondants utilisés à bon escient pour rendre certaines scènes très dérangeantes.

Mais la personne qui connaît bien le cinéma du bonhomme pourra se demander, arrivé à ce point de ma critique, qu’en est-il des bons vieux dialogues pour lesquels il est si réputé ? Personnellement, je le voyais arrivé au point de rupture de son cinéma articulé autour de saynètes bavardes avec Inglourious Basterds et surtout Boulevard de la mort, constitués de longs dialogues d’une qualité assez inégale. Ici il semble avoir trouvé l’équilibre entre les deux volets de Kill Bill, l’un étant versé dans la vengeance, la violence et les travellings improbables sur fond de musique entraînante, l’autre sur les longs dialogues introspectifs et l’évolution des personnages.

On retrouve un peu de tout ça dans Django Unchained de façon équilibrée et bien rythmée, ce qui fait que les 2h45 filent à toute allure. Les dialogues sont beaucoup moins « envahissants » que dans ses deux précédents films, Tarantino laisse plus parler la mise en scène et ainsi respirer son film, un changement assez agréable et inattendu. Soyez rassurés, on retrouve son goût pour les dialogues absurdes et les situations auxquelles il est typiquement le seul à penser dans une sorte de sketch sorti de nulle part sur les problèmes que peuvent rencontrer les porteurs de masques similaires au Ku Klux Klan. On frôle le hors-sujet, mais les différents personnages y sont tellement irréstibles qu'il sera bien difficile de bouder son plaisir devant cette scène.

Pour revenir à sa filmographie, Tarantino semble avoir ici atteint la conclusion d’un nouveau cycle, le premier allant de l’outrance de Reservoir Dogs à la sobriété de Jackie Brown, pour ensuite repartir en fanfare sur Kill Bill et retrouver une certaine sérénité sur ce dernier film. Difficile de ne pas être curieux de savoir quel sera son prochain projet après un film aussi généreux et bien pensé. Il avait annoncé vouloir faire une sorte de trilogie ayant pour thème la revanche des opprimés, qui a encore du potentiel pour un dernier film.

Si je dois faire un seul reproche plus ou moins objectif au film, ce serait sur l’utilisation de la musique qui, loin d’être mauvaise, se révèle tout de même moins inspirée que sur Pulp Fiction ou Kill Bill. Certains choix sont un peu faciles, d’autres peu convaincants, bien que cela reste mineur et ne gâche pas le film, on ne se retrouve pas avec quelque chose d’aussi iconique et fusionnel avec le long métrage sur les deux précédemment cités. Maintenant que j’y pense, j’aurais bien un second reproche qui serait le personnage de Samuel L. Jackson, initialement très drôle mais vite gonflant. Ce qui est finalement bien peu pour un film dont j’avais tendance à me méfier au départ, et qui se révèle être (enfin) une non-déception après tant d’attentes insatisfaites. Avec plus de blockbusters inspirés et généreux comme ça, on s’ennuierait moins souvent au cinéma.
blazcowicz

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