"America, go fuck yourself"
J'emprunte ces mots à Allen Ginsberg. Il siéraient à merveille au dernier film de Tarantino, prodigieux doigt d'honneur en direction des USA. Deuxième volet de ce qui commence fortement à ressembler à une trilogie façon Sergio Leone sur la violence de la civilisation occidentale moderne, "Django Unchained" est une totale réussite et un film d'une grande richesse.
Il y a l'hommage certain à un genre : le western, et pas seulement le Western spaghetti. La violence, l'humour, la musique et certains éléments de la mise en scène évoquent évidemment Leone et Corbucci (initiateur de la série des Django), mais la somptuosité de la fresque, des décors, et son caractère éminemment émouvant sont plus proches du grand western américain.
Il y a un casting exceptionnel et judicieux : Di Caprio grandiose en sadique calculateur, Foxx classieux dans le rôle titre, et évidemment Christoph Waltz épatant dans un rôle ambigu. Il crève l'écran à chaque instant et possède quelques unes des meilleures répliques du film. Seul bémol peut-être, les premières apparitions de Samuel L Jackson, trop caricatural puis plus nuancé. On notera également des apparitions de tous les habitués (de Tarantino himself à Michael Parks, en passant par Zoe Bell) et le meilleur plan fétichiste de tout le cinéma de Tarantino.
Difficile de couvrir le film de louanges sans en dévoiler trop la teneur. Son scénario est remarquable, passant aisément d'une première intrigue expédiée rapidement et qui aurait justifié un film à elle seule, puis développant sa grand-histoire de manière magistrale, avant de conclure sur un finale deux temps d'une tonitruance et d'une cruauté sidérantes.
Django est également l'occasion pour Tarantino de s'essayer à des nouveautés : il fait composer pour le film une partie de la bande son plutôt que de compter intégralement sur des pièces déjà existantes. On retrouve ainsi les habitués (Johnny Cash, Luis Bacalov, RZA) et d'autres renouvelés (monsieur Morricone en personne, qui compose une très belle chanson).
Les deux constantes du cinéma de Tarantino sont également réaffirmées : l'humour et les dialogues truculents d'une part, la violence de l'autre. Dans Django elle est omniprésente, multiple. C'est une torture ou un sévice gratuit et sadique, c'est un éprouvant combat à mort et à mains nues, ce sont divers châtiments et punitions, des meurtres de sang froid, parfois drôles, parfois moins, des vengeances libératrices ("Freedom" de Ritchie Havens ne résonne pas pour rien dans une séquence clé du film) et des fusillades particulièrement sanglantes. Mais si Django est graphiquement et psychologiquement un des films les plus violents de son auteur, il est également le plus barbare. Sa portée polémique, militante presque et le regard sans pitié et sans complaisance portée sur une certaine Amérique (raciste notamment) amènent quelque chose de quasi inédit dans l'oeuvre du cinéaste : la gravité et l'émotion, déchirante. Car Django est également une histoire d'amour fou qui entraîne des déchaînements de fureur et de persévérance.
Je parlais de doigt d'honneur, j'y reviens. Le film choque, aux USA. Très violent, extrêmement subversif et provocant, mettant la société face à ses vices, errances et traumatismes divers avec une assurance froide heureusement parfois teintée d'amour. L'esclavagisme et la traite des noirs ne sont jamais traités avec légèreté et tous les personnages ou presque sont dévorés de contradictions. Qui est le pire salaud de tous ? La noblesse du but justifie-t-elle la démesure sans merci des actes et des moyens engagés ? Le montage est ici précieux et les nombreux flashbacks sont autant de raisons qui expliquent les gestes de nos personnages, dussent-ils se sacrifier avec panache. Une séquence également témoigne de l'audace de Tarantino. Il met en scène une attaque orchestrée par des blancs rappelant le KKK par plusieurs aspects. Comme dans son précédent film, il parvient par un tour de force humoristique à les tourner en ridicule tout en soulignant leur monstruosité et en réglant une bonne fois pour toute ses comptes avec eux.
A d'autres moments, on jurerait que l'ombre d'un Coppola, d'un Cimino ou d'un De Palma (époque Scarface) plane sur un film pourtant entièrement dévoué à Sergio Leone. Qu'on se rassure, ces métissages ne font que donner de l'ampleur au film, et Leone doit probablement jouir dans sa tombe en ce moment.
Je pourrais probablement continuer des heures comme ça, mais la meilleure solution de vérifier la bonne santé du cinéma de Tarantino est certainement de voir le film en salle. Peut-être le meilleur de ses films, certainement le plus abouti, Django risque fort de devenir en quelques années un monument du cinéma américain contemporain.