Tarantino a t-il grandi ? A t-il mûri ? Telle est la question avec ce Django Unchained, où le côté totalement "what the fuck" du réal propre à sa réputation de grand gamin débridé semble presque avoir disparu. Avoue, toi aussi quand tu as entendu parler d'un western avec ce bon vieux Quentin aux commandes, tu as pensé à un énième délire de l'énergumène, avec dialogues barrés sur fond de Ennio Morricone remixé à la sauce rock'n'roll des seventies et duels ultra-sanglants où les guns se dégainent par deux. Avoue que tu t'attendais plus à un western spaghetti très bolognaise qu'à un vrai film avec une vraie histoire. La claque n'en sera alors que plus grande.

Loin de ses scalpes nazis et de ses oreilles coupées "just for fun", Tarantino réalise un vrai film. Attention, je n'ai rien contre le môme Quentin, celui qui faisais mumuse comme un ado foufou et décomplexé avec son faux-sang, sa bande-son exaltante et ses dialogues incisifs. Je l'adorais tout autant. Mais là, il prends le temps de se poser un peu et de réaliser quelque chose de plus cinématographique : on a ainsi le droit à une vraie histoire, un vrai rythme, à une pléiade de personnages non seulement charismatiques mais également très fouillés (cet inoubliable Dr Schultz) mais encore à de véritables beaux plans rappelant gracieusement certaines images mythiques du genre. Il y a comme une épopée lyrique et poétique qui transparaît dans ces séquences magnifiques, où l'homme blanc et l'homme noir (enfin) égaux et complices cheminent les grands espaces américains. Est-ce l'aspiration de l'auteur devenue comme réalité, ou simplement la vision utopique d'une Amérique idéalisée ? Les deux, semble nous dire Tarantino lorsqu'il s'amuse quelques minutes plus tard à ridiculiser les précurseurs du Ku Klux Klan de façon hilarante. Le scénario un poil facile n'est en fait qu'un prétexte à Tarantino pour se moquer ouvertement du racisme et des préjugés, en travaillent le paradoxe d'une Amérique dîte libre mais finalement esclavagiste et inégalitaire.

Chaque instant de Django Unchained se savoure différemment. Car oui, ça reste du Tarantino ! On passera alors de joutes verbales superbes à une éruption de violence démesurée, entre deux flash-backs brillamment esthétisés et une touche d'humour désopilante. On rit, on sursaute, on s'étonne, on s'émerveille, notre coeur bat son plein et on ne lâche pas l'écran des yeux. Le pied. Mais ici, le plaisir est également ailleurs. Comme un simple plan exprimant l'alchimie parfaite entre les deux héros du film par un silence éloquent, le jeu nerveux de DiCaprio ou la reconstitution minutieuse d'une ville de l'Ouest, Tarantino réussi à nous émerveiller autrement et à sortir de sa routine de cool-attitude. Là, il s'applique et fait du cinéma, du vrai, en nous transportant littéralement dans un autre univers.

Et voilà, le temps d'une scène et Tarantino change le film ; il retourne à ses "tarantineries". Pourquoi terminer cette fine dénonciation des inégalités et de l'esclavagisme dans la démesure la plus totale, entre murs repeints à l'hémoglobine et testicules explosées ?! Pourquoi ajouter l'habituelle touche de décadence fun "tarantinienne" à ce récit intelligent ? Les gamins sont têtus, c'est bien connu. Il ne faut pas voir cette dernière demi-heure comme un gâchis ou un acharnement du réal à en faire des tonnes, comme l'ont perçu certains. C'est d'abord la relecture jouissive du western spaghetti où Quentin conserve la recette tout en baignant le tout dans la sauce tomate, pour trente minutes de violences excessivement trash mais comiques. C'est aussi comme le fantasme génial du réal, de faire prendre sa revanche à son héros martyr, comme pour rendre justice au peuple noir, en dézinguant de façon absurde et burlesque le plus de blancs possible à l'écran. Il n'y avait qu'un réalisateur pour traiter le sujet de l'esclavage de cette façon, en le dénonçant d'abord et en fantasmant sur une sorte de justice par la suite, en alliant sérieux et comique et en se confondant presque avec son héros. Cette conclusion est tout autant déjantée que lyrique : ce n'est plus le gosse qui s'amusait avec les histoires de gangsters, mais bel et bien la même personne qui a grandi et mûri. A la fin, c'est tout autant Tarantino Unchained que Django.

Et oui, pour la première fois, on peut dire que Tarantino livre un beau film. Il a compris que le fun n'empêche pas l'intelligence et que la mise en scène est un art. Alors, vas-y, file le voir, rien que pour le charisme de Waltz, la séquence du Ku Klux Klan, l'intensité de DiCaprio, la chanson de James Brown et 2pac, les couilles de Jamie Foxx et le final qui fera rager Le Pen senior. Et parce que de toute façon, tout est parfait.

I like the way you grow up, boy.
Swenser
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