"Vic Mackey is not a cop. He's Al Capone with a badge".
The Shield. La Plaque. Oui, ce petit truc métallique d'un doré éclatant qui donne à son heureux propriétaire le devoir de servir son pays et le droit d'enfreindre certaines règles. Oui, ce petit truc que portent les flics, véreux ou non. Oui encore, ce petit truc tout simple et tout bête qui porte sur la conscience un nombre incommensurable de morts, innocents ou pas. The Shield parle de la triste vérité, celle que personne n'ose s'avouer, celle qui fait tellement mal et tellement peur qu'on la cache dans l'oubli et l'indifférence. The Shield a réussi, en partant d'un genre éculé, à innover et se faire sa propre marque, en imposant une thématique originale et audacieuse, d'une intelligence riche et complexe.
Donc, The Shield relate le quotidien de flics plus ou moins gradés, attribués à plusieurs fonctions et unités différentes, dans l'un des quartiers les plus dangereux de Los Angeles : Farmington. Chargés de remettre de l'ordre et de nettoyer les rues, on suit l'évolution de toute une galerie de personnages tout aussi différent les uns que les autres, fortement influencés par une criminalité en hausse et la sauvagerie qui règne dans la Rue. Et sans ses personnages, la série ne serait rien d'autre qu'une simple série policière. Chacun d'eux a son rôle dans l'accusation amer et très critique du système qu'elle dénonce, que ce soit le flic qui refoule son homosexualité par la religion dénonçant ouvertement les tabous, le refus et la peur de la différence au politicien ripoux prêt à tout pour gagner les élections qui montre du doigt une société rongée par la corruption et une politique inefficace, The Shield ose tout et n'a pas de limite. Mais surtout, elle reste imprévisible et sans pitié avec eux, et ça dès le premier épisode, au final dérangeant. Ce dernier est d'ailleurs l'élément perturbateur de la série, celui qui va déclencher la longue descente aux enfers du groupe de flics anti-gangs de la Strike Team mené par Vic Mackey et son équipe, que la série narre durant sept saisons magistrales.
C'est à travers de ladite Strike Team que The Shield pousse la critique politico-sociale à son apogée, amenant le spectateur à la réflexion plus que jamais. Car Vic Mackey et sa bande sont des flics violents et têtes-brûlées, d'une efficacité redoutable sur le terrain mais n'hésitant jamais à franchir la ligne jaune ; recels de drogues ou d'argent, interrogatoires particulièrement musclés, braquages, menaces, chantage, fabriques de fausses preuves... et même meurtres si la situation devient incontrôlable. Oui, ces personnages sont des anti-héros pourris, mais ici, pas de manichéisme ni clichés, tous possèdent une personnalité très dense et profonde qui évolue toujours plus à chaque saison à tel point que le spectateur ne sait jamais sur quel pied danser avec eux, comment les percevoir et les appréhender. La série pousse même le spectateur à réfléchir sur leurs pratiques : bien sûr, les sales coups de la Strike Team sont toujours justifiés par une ou plusieurs raisons valables, mais la justice résonne t-elle vraiment dans leurs actes ? Et méritent-ils les conséquences sévères qui s'abattent sur eux ? Alors on s'interroge sur ce qu'est un bon ou un mauvais flic. Qu'est-ce qui fait la différence ? Rétablir un peu d'ordre et punir les psychopates-dealers-meurtriers est-il un prétexte pour enfreindre délibérément la loi, tant que justice est faite pour certains d'entre nous ? Quel est le seuil à ne pas franchir ? Quelle est la limite entre le bien et le mal, le légal et l'illégal ? Et qu'est-ce qu'est vraiment la justice ? Quand Vic et les autres témoignent d'un véritable amour troublant de sincérité pour leurs familles respectives, lorsqu'ils envoient un important cartel de drogue derrière les barreaux au prix d'un maccabé, The Shield nous fait perdre nos valeurs, tant la thématique agresse brillamment le spectateur de toute ses questions. Et finalement, qu'est-ce qui importe le plus ? La paix par la violence ou la sauvagerie continue ? Car peu importe les moyens, peu importe le miroir paradoxal qui associe Vic Mackey, le grand flic efficace, à un criminel dangereux de la Rue ; le problème, c'est le système pourri jusqu'à la moelle, qui délaisse une population livrée à la misère et à la violence, ainsi qu'une population qui ferme les yeux. Les rues sont sales, le monde se déshumanise un peu plus chaque jour, alors on se dit que pour un monde meilleur, la première solution et la plus efficace sera le mieux, et ça peu importe les moyens.
The Shield marque par plein d'aspects. De par ses dialogues très forts, bourrés d'ironie et de dérision, ou majestueusement emprunt d'une réalité terrifiante. Des joutes verbales hilarantes et décalées aux scènes d'interrogatoire mémorables, d'une violence scotchante ou d'une psychologie intense, la série varie régulièrement de ton, mais amène toujours le spectateur à la réflexion, et se maintient sur un rythme remarquablement maîtrisé. Les scènes fortes s'alignent, perturbantes ou émouvantes à souhait, d'une intensité étouffante et d'une cohérence sans faille. Car au-delà de sa thématique et de sa volonté constante à vouloir faire réfléchir les spectateurs, la série reste un divertissement de haute volée, dotée d'une caméra à l'épaule saisissante et indispensable comme rarement, d'une pléiade d'acteurs habités et d'une bande-son géniale.
Il faut savoir que la série est inspirée de faits réels, et possède donc un réalisme rarement atteint pour une série télévisée. Et de par sa noirceur permanente, sa fréquence à dépasser allègrement le politiquement correct et son pessimisme suffoquant, on se doutait que The Shield finirait mal. On suivait l'auto-destruction quotidienne de la Strike Team mise à rude épreuve, tentant de survivre par tous les moyens dans ce monde de brutes. Et on s'est attachés à eux finalement, malgré toute les saletés qu'ils ont commises. Les personnages secondaires tombant un à un, dans leur sang ou en passant par la case prison, on se demandait quand viendrait leur tour. Et on s'étonne de voir couler nos larmes à la fin, où, après tant de violences commises et de mal fait, la sentence tombe enfin. Mais c'est parce qu'il s'agit d'une sorte de règlement de comptes, somme toute injuste, entre la société et des fonctionnaires qui ont tout donné : toute leur vie à faire en sorte de faire respirer un monde malade, à procurer tous les jours un peu plus d'espoir à une population perdue, dans l'espoir d'un monde meilleur et plus juste... et comment sont-ils récompensés ? Dans l'oubli et l'indifférence la plus totale, en perdant au passage tout ce qu'ils avaient de plus cher au monde, avec en guise de remerciement, la sensation affreuse d'une vie qui n'aura servie à rien.
The world sucks. It will always be like this. And nothing can change it. Nobody can save it. Everybody try to save it is sentenced. One part of it is already dead.
Chef-d'oeuvre.