Chaque sortie d’un film de Quentin Tarantino est un brin compliquée. On aime le bonhomme, même quand on le déteste, suffisant mais relâché, passionné mais implacable, Tarantino a toujours su rester au cœur des débats, tant ceux des cinéphiles que ceux du grand public. C’est quelqu’un qui aime faire quelque chose du cinéma, et qui veut en faire quelque chose. Dévoré par une ambition folle, parfois, il se plante. On se souvient un peu péniblement de l’ennui procuré par Boulevard de la Mort, ou même de la semi-déception d’Inglorious Basterds. Car tout plein de qualités qu’il était, passé son côté rafraichissant, il n’était finalement que bien faible comparé à ses propres inspirations. Comme je l’ai souvent dit : autant se revoir un bon De l’or pour les Braves.
C’était une affaire de temps avant que ce cher Quentin ne s’attaque au western. C’est un genre qui le bouffe, dans le bon sens du terme, et ça se ressent dans son cinéma. On en retrouvait une énorme dose dans Kill Bill vol. 2, et j’irais même jusqu’à dire dans Reservoir Dogs. Et voilà que tombe Django Unchained, semi-remake du fameux Django de Sergio Corbucci, une alternative à Leone que je ne peux que conseiller. Autant dire que ce nouveau Tarantino était attendu au tournant.
Dans Django Unchained, on sait qu’on ne s’est pas trompé de film : on se retrouve d’emblée avec le thème original de Django. Jouissance suprême de l’entendre sur grand écran, couplée à une certaine impression de facilité de la part du réalisateur. Mais vais-je m’en plaindre ? Non, car ça n’est pas comme si Django Unchained remakait un film archi-connu ayant une musique archi-connue.
Tarantino se trouve dans le western, et il s’y complait. Il maitrise son sujet avec une aisance certaine, et arrive à dépasser le simple stade de fanboy du genre qui ne fait que reprendre des plans ou un style sans vraiment y rajouter quelque chose. Ce qu’il construit ici n’est pour moi même pas comparable à Inglorious Basterds. Tarantino ne sombre pas également dans l’auto-citation, bien qu’une partie de son style soit évidemment liée au petit culte qu’il a autour de lui. Mais jamais il n’en exagère, jamais il n’en abuse outre-mesure.
Il y a bien des moments où on peut toutefois se dire : Tarantino se regarde filmer. Oui, je dirais un peu. Il y a des séquences qui sont étirées, car on sent que le bonhomme tient à garder et à profiter à fond de l’univers qu’il créé. Hélas on perd un peu en efficacité, çà et là. Il y a d’autres scènes qui sont présentes pour assurer un certain fan-service humoristique dans le film, mais j’en viendrais presque à dire que c’est trop « direct » comme humour, du moins au sein de Django.
Django Unchained a envie de parler et de durer car Django Unchained a un truc à dire. Loin de tomber dans le film pseudo-politisé abordant des questions sur l’esclavage plus d’actualité, le métrage de Tarantino ne s’empêche pourtant pas d’afficher des thématiques intéressantes, et surtout, travaillées un minimum en profondeur. Un univers et des personnages qui ont du relief, ça n’est pas de refus.
Ainsi, Tarantino s’interroge sur la question de l’identité. Tant l’identité de l’esclave, bien entendu, que l’identité de l’Amérique, finalement. Par quoi l’Amérique se définit-elle, dans quoi se reconnait-elle ? Dans un maelstrom de pourriture et de violence. Par-dessus cette mixture un brin douteuse, quelle sucrerie nous offre-t-on ? Candie, bien sûr, le délectable personnage de Leonardo DiCaprio. Figure passionnante s’il en est, grand méchant du film, Candie se pare de prétendues fondations sur la culture et le bon goût. Candie est la cerise qui trône sur le tas de merde. Mais ce qui me réjouit, c’est que Tarantino n’ait pas oublié de donner de la profondeur à ce personnage, finalement crucial. On se retrouve à être rapidement charmée par cette merde de Candie.
Il faut aussi dire ce qu’il en est, Candie c’est aussi un DiCaprio en grande forme. Forcément, quand on est chez Tarantino, habituellement on en fait des caisses. DiCaprio ne se gêne pas, mais l’écriture de son personnage lui permet de le faire. Et de le faire avec une certaine justesse, rajouterais-je. Je me risquerais à dire qu’il surplombe tout le métrage de manière générale. Car Waltz fait du Waltz (j’en viendrais à dire, un acteur construit pour et par Tarantino), Fox fait le boulot en essayant d’être badass, et Samuel L. Jackson... bon, lui en fait des méga-caisses. Distrayant les premières minutes, passablement lourd dans la suite. Cela dit, rien de cela n’empêche de jouer du Colt convenablement.
D’ailleurs Tarantino se lâche, et tant mieux. Le rapport à la violence de Tarantino est assez particulier, variable selon ses films. Le grotesque ne lui fait pas peur (Kill Bill), mais ça ne l’empêche pas pour autant de maitriser aussi son aspect premier degré, son aspect tantôt dramatique, tantôt dérangeant (Reservoir Dogs). Soyons clair : Django Unchained est un film clairement violent. Peut-être son plus violent d’ailleurs, d’autant plus qu’ici il n’est pas spécialement question de grand-guignol dans l’ensemble, même si cela reste quand même relâché. Loin des douches de sang de Kill Bill, Django Unchained se retrouve finalement dans une inspiration de Peckinpah. Mais à nouveau, c’est dans un contexte logique d’un point de vue narratif, c’est logique dans l’approche du film, et puis, le film de Sergio Corbucci était également bien violent pour 1966. Tarantino trouve donc un équilibre assez efficace, même si il manque parfois de le briser, par des petites choses en trop. Comprenez bien qu’un tel équilibre, en plus d’être précieux, est très difficile à maintenir.
Et ce, d’autant plus dans un film de 2H40. Mais par chance, nous sommes tombés sur un Tarantino inspiré, un Tarantino qui fait péter de la bonne mise en scène. C’est un bonhomme inspiré, bien sûr, je l’ai déjà dit, donc il ne se prive pas de balancer ces bons vieux gros zooms des années 60 qu’on aime bien. Mais pourtant, il ne se contente pas de singer ses passions. Il a quelque chose dans sa mise en scène, il rajoute d’autres influences, et se créé un cocktail maison explosif. Parfois, pour des raisons obscures, on tique sur un choix de découpage un peu étrange l’espace de quelques plans. Et puis on revient à du bon. A noter que le film se paie une esthétique générale plutôt bonne, à la direction photo soignée. Bien que je ne sois pas toujours 100% convaincu par ces choix, la plupart du temps cela fait mouche. Et puis, Tarantino maitrise son décor, son paysage, et ça fait plaisir. Car si Quentin est un mec punchy sous cocaïne, ça ne l’empêche pas parfois d’être un brin majestueux, et beau dans ses plans, dans les étendues qu’il montre. Notons également qu’il sait plutôt choisir ses musiques, le bougre.
Je dirais que Django Unchained se révèle être un bel aboutissement pour Tarantino. Son meilleur, je n’en sais rien, j’ai du mal à juger car il y a une réelle évolution depuis l’époque de Pulp Fiction et compagnie. Quentin Tarantino a visiblement gagné en maturité au sein de son cinéma. Il tient ses promesses dans Django, et livre un film qui, au-delà d’avoir simplement (et surtout très vainement) juste « de la gueule », est beau, voilà tout. Et puis Franco Nero quoi, c’est cadeau, merci pour ça.
Bon, en revanche, je vais être obligé de changer la sonnerie de mon téléphone, qui est le thème de Django (le Corbucci, j’entends), parce que t’es mignon Quentin, mais j’ai pas envie qu’on me casse les burnes avec toi tout le temps. Et rien que pour ça, tu fais chier, parce que je l’aimais cette sonnerie. Voilà, maintenant je ne t’aime plus. T’as l’bonjour de Spike Lee !