Ça y est, la grand-messe Tarantino a sonné, et quelle grand-messe ! Qu’on hisse la potence et frappe le glas, Tarantino is back. Oublions l’inutile Boulevard de la mort et le lourdaud Inglourious basterds : Mister T. se remet en selle avec habileté et panache malgré les kilos en trop. Après la blaxploitation, le grindhouse et le film de guerre sous l’Occupation où Hitler finissait en petits morceaux (et avant, un jour sans doute, la rom com ou le documentaire animalier), Tarantino s’amuse cette fois à vampiriser jusqu’à la moelle le western spaghetti et le western en général (mais le film est beaucoup plus que ça, assurément, et plus tripant que True grit qui se plantait en beauté).
Film fleuve de 2h40 flirtant avec le genre tout en cherchant à le réinventer, Django unchained balance la dose sans complexe, bien loin d’une polémique dont on cherche encore à comprendre le sens (Spike, retourne donc filmer tes pizzas à Brooklyn). Alors quoi ? Nigger or not nigger ? Le contexte historique s’y prête pourtant sans hésitation. Fallait les appeler comment les esclaves noirs de l’époque, réduits à pire que des animaux, pour "choquer" personne ? Cher monsieur et chère madame ? La grande Histoire se déplace de l’Europe (Inglourious basterds) à l’Amérique pour raconter une période tout aussi trouble et honteuse que les États-Unis digèrent encore mal, celle de l’esclavage, évoquée ici dans sa forme la plus sombre et la plus crue.
De fait, certaines scènes sont costaudes : esclave déchiqueté par des chiens, enfermée dans une boîte en ferraille en plein cagnard, obligé de se battre jusqu’à la mort, fouetté(e) sans pitié, et quand Django se retrouve nu attaché par les pieds prêt à se faire arracher les couilles, on frémit d’horreur parce que la réalité devait être sacrément dans ce goût-là. Tarantino prend son temps (un peu trop même, et le film souffre d’une mise en place laborieuse) pour dérouler son histoire de vengeance et de renaissance puisant son inspiration dans la légende allemande des Nibelungen et son célèbre Siegfried "là-bas dans la forêt" (genre choc des cultures : c’est un peu le spaghetti qui rencontre la schupfnudel).
En gros, aller délivrer la princesse retenue prisonnière et faire triompher l’amour et la justice. Soit la femme de Django séquestrée dans une plantation du Mississippi, devenue catin pour dégénérés noirs et blancs aux mains de l’ignoble Calvin Candie. On est en plein vigilante movie, loi du Talion, œil pour œil et tout le bazar (Kill Calvin) ; Django a les nerfs, frétille de la gâchette, veut faire mordre la poussière et galope dans le far west au cul de ses vils ennemis pour sauver sa dulcinée, mais sans cercueil à trimballer (ici c’est une roulotte avec une énorme molaire dessus montée sur ressort : pas la classe de la caisse en sapin, mais c’est franchement comique).
Tarantino ne lésine évidemment pas sur la violence, lancé sur les traces de Leone ou d’un Peckinpah (filiations évidentes) dopé comme un fou ; le sang gicle en gerbes démesurées, affolantes, sidérantes, et le gunfight final prend des allures de chorégraphie dingo et juteuse à La horde sauvage ou Scarface. Il ne lâche pas non plus son art du dialogue et de la rhétorique, de la litote et de l’oxymore, en abreuvant jusqu’à la lie un script à l’intrigue microscopique. Là où Inglourious basterds pêchait par vantardise et par mollesse, Django unchained crépite d’un feu certain, cinéphilique et atypique : on est en terrain tarantinesque archi-connu (surenchère d’hémoglobine, faste référentiel, bande-son superlative) et en même temps ravivé, c’est drôle (la scène des cagoules), enlevé et interprété avec gourmandise.
Les acteurs justement, à la fête comme jamais. Christoph Waltz, chasseur de primes éloquent, élégant, dont la verve et l’ironie font mouche à chaque mot. Jamie Foxx, sobre et puissant en vengeur à lunettes dont les goûts vestimentaires laissent parfois à désirer. Leur duo, incongru au début, est ensuite d’une parfaite logique, irrésistible surtout (genre vieux couple prêt pour la noce). Samuel L. Jackson, magnifiquement odieux en maître larbin passé du côté obscur. Et puis il y a Leonardo DiCaprio, impérial carrément en riche propriétaire aux chicots pourris dont l’exquise suavité n’a d’égale que l’ignoble perversité. On peut croire qu’il cabotine le Leo, mais non, son regard intense, habité, suffit à comprendre qu’il est dans le ton, dans la justesse, dans le truc quoi. Tarantino le sait, le chérit, lui fait les yeux doux et lui offre des séquences de haute volée (la scène du crâne par exemple). Plus toute une série de crapules et de seconds rôles sortis des Enfers (Don Johnson, Walton Goggins, Bruce Dern, M. C. Gainey…) et y retournant avec du plomb dans la gueule. Jubilatoire même dans ses défauts et ses débordements, Django unchained se gausse d’une humanité répugnante et vautrée dans sa fange (tueurs sans scrupules, avocat véreux, shérif louche, péquenauds, couards, racistes, bouseux…). Du coup, me voilà réconcilié avec Tarantino.