Attention, Tarantino devient adulte, et ça ne lui va pas ! De ses débuts, Tarantino a toujours privilégié la forme au fond, dans des films de genre où il revisitait l'imaginaire du cinéma tout en se gardant soigneusement éloigné de la vie réelle. Il a clairement montré son génie dans des dialogues surécrits, des références omniprésentes et l'ultraviolence très parodique et stylisée utilisée comme une sorte d'acmée, une apothéose de la torture psychologique qu'il impose à ses personnages et à ses spectateurs (l'oreille coupée de Reservoir Dogs, exemple entre mille), toujours dans un scénario très outré à la limite de la comédie. Mais voilà, le réalisateur passe la barre des cinquante ans et se dit qu'il est un peu trop vieux pour jouer dans le bac à sable adulescentesque. Il réalise d'abord Inglourious Basterds, un film sur les nazis (sujet sérieux) mais où il continue à faire dans le politiquement incorrect et à faire montre de son outrance coutumière. En tant qu'américain, il bénéficie d'une certaine distance avec le sujet, et peut se permettre de faire de son héros un nazi, et de tourner en dérision des bâtards américains qui arrive avec leurs grosses rangers et ne parviennent à leurs fins que grâce à l'arrivisme du nazi en question et de la ténacité d'une petite française. Sacrée ironie, sacré pied de nez à la morale premier degré. Et puis voilà Django Unchained, qu'il choisi de faire sur l'esclavage. L'esclavage, sujet tabou s'il en est aux States. Dilemme pour le grand Tarantino : il ne peut plus vraiment faire du remâchage de films de genre puisqu'il se doit d'écrire une histoire qui n'a que très peu été racontée. De plagieur, il devient pionnier. Et c'est là que le bât blesse.
Django Unchained reprend Christoph Waltz, le nazi si raffiné d'Inglourious Basterds, et le transpose en européen justicier, qui méprise la violence omniprésente des américains, et choisi d'en tirer profit, puisqu'il est chasseur de primes. Bizarrement, Christoph Waltz rejoue dans la forme exactement le même personnage que chez les Bâtards. Tarantino ne se moque pas de lui comme il se moquait des américains venus sauver l'Europe. Ici l'Européen est l'éclairé, bien en avance sur des américains racistes et lourdingues. On revient au premier degré, première grosse déception. Et puis il y a Django (Jamie Foxx), qui joue l'esclave instruit, qui sait se servir d'un flingue et a une copine qui parle allemand ! C'est là que le Tarantino ne s'autorise plus à se moquer de ses personnages, à avoir recours à un second degré salvateur. Maintenant il joue dans la cour des grands, et il y a certaines choses dont on ne peut pas rire. Même chose pour son grand méchant, joué par Leo DiCaprio, excellent au demeurant, mais qui est présenté ici comme un salaud sadique sans nuances, que Tarantino exècre, et ça se voit. Où est passé la glorification du méchant, de l'anti-héros, du salopard, qui était la marque de fabrique du maître ? Disparu, effacé, auto-censuré par celui-là même qui s'est toujours royalement foutu de la censure ! L'humour est aussi à l'arrière-plan, plus vraiment jouissif, trop premier degré, comme cette scène où les apprentis Ku Klux Klan ne peuvent plus voir à travers leurs cagoules blanches. C'est ça l'humour Tarantino ? C'est un peu gnan-gnan, oui ! Les seconds rôles, si travaillés dans les autres films du maître, sont ici très passifs, sans vrai relief, comme Broomilda von Shaft (Kerry Washington) tout juste bonne à jouer la potiche larmoyante qu'on s'en va sauver. Le seul qui tire vraiment ses marrons du feu est ici le grand Samuel L. Jackson, impressionant dans le rôle de l'esclave voué à la cause de son maître. Mais ici comme ailleurs l'humour manque cruellement. Qu'est-ce qu'il reste alors, d'extravagance, de fulgurance dans ce Tarantino bien sage ? La violence, toujours la violence, mais ce n'est plus ici un péché mignon, c'est un acte d'accusation de Tarantino contre l'histoire de son propre pays, comme la scène de cet esclave jeté vivant en pâture aux chiens. Une scène insoutenable, filmée par Tarantino comme telle, et très peu justifiée. La fin du film, évidemment vengeresse, celèbre Django comme super-héros sauveur de sa miss, atteint le fond : on est dans le même propos crypto-fasciste, pro-peine de mort, sexiste, hyper-prévisible que le cinéma d'action américain à la Stallone/Schwarzy. En voulant régler ses comptes avec l'histoire de son pays et de sa culpabilité vis-à-vis des noirs, Tarantino en devient franchement lourdingue et très conservateur.