Ayant lu l'oeuvre de Mary Shelley il y a quelques années, je savais bien que le film n'est en rien une adaptation fidèle de "Frankenstein ou le Prométhée moderne" publié en 1818. Dans l'oeuvre originale, il n'y a aucune trace d'Igor, l'assistant du Docteur Frankenstein, il ne faut donc pas s'attendre à revoir les personnages qui forment la famille Frankenstein, à l'exception du père et du frère décédé qui, étrangement, porte le nom de l'ami dans le roman (Henry). Le personnage d'Igor, assistant difforme du docteur, apparaît pour la première fois dans une adaptation théâtrale du roman en 1923. Cette "adaptation" cinématographique libre du roman a toutefois suscité mon intérêt pour l'histoire racontée dans le film et aiguisé ma curiosité concernant cette nouvelle version du mythe littéraire. J'ai donc regardé le film qui m'a quelque peu déçue à cause du grand écart que le réalisateur s'est permis par rapport à l'oeuvre originale. Cependant, j'ai apprécié certaines idées qui restent fidèles à ma lecture du roman et qui représente une interprétation parmi d'autres.
Bien que la scène d'ouverture et les scènes d'action rappellent l'adaptation de Sherlock Holmes, Je ne peux y voir que de l'inspiration et non du plagiat. L'atmosphère sombre et froide de Londres rappelle, elle aussi, le décors gothique mis en scène par le réalisateur de Sherlock Holmes, mais aussi la relation entre le docteur est son assistant, nous fait penser à la singulière relation entre Sherlock Holmes et le docteur Watson, et tout comme ce cher Watson, c'est Igor le narrateur de l'histoire dans le film - d'une certaine manière -, on ne peut donc que féliciter Paul McGuigan de son talent pour réaliser la même chose que son prédécesseur. Quant à l'histoire, rappelons-le, n'est pas celle du docteur Frankenstein, le personnage mythique de Mary Shelley, le savant représenté dans le film me semble plus cruel, plus orgueilleux, plus égoïste, il est toutefois guidé par une foi scientifique qui émane d'une profonde blessure. Extrêmement ambitieux et manipulateur, le docteur Frankenstein est prêt à tout pour atteindre ses objectifs. Son assistant, bien qu'il éprouve de la sympathie et de la reconnaissance envers son bienfaiteur, finit par réaliser les dangers que le monde encourt...
Pour ce qui est du personnage féminin, je pense qu'il n'est là que pour introduire un brin de douceur à cette atmosphère horrible et sinistre. Dans le roman, il existe plusieurs personnages féminins dont la mère et la fille adoptive, et la relation amoureuse mise en évidence par la romancière est celle du docteur avec la fille adoptive (Justine). En revanche, une autre idylle voit le jour, entre Igor et la jeune femme acrobate. Encore une fois, cette relation amoureuse est une pure imagination du réalisateur.
La créature de Frankenstein ne fait son apparition que vers la fin du film (une première créature, un singe, semble-t-il, marquera le début des rebondissements, mais sera considéré par son créateur comme un échec). Le monstre de Frankenstein a un air de ressemblance avec le monstre imaginé par le réalisateur du film sorti en 1931. Cependant, le monstre de cette récente version n'a pas d'âme, et n'éprouve aucun sentiment, contrairement au monstre du roman qui ressent de la colère et de l'amertume quand il est rejeté par la société (d'où son désir de vengeance).
Un dernier point, à mon sens, qui garde un lien avec l'oeuvre originale, c'est cette dichotomie science/religion. Cet éternel conflit entre l'esprit scientifique qui croit pouvoir remédier à toutes les lacunes de la nature et qui pense profondément que la science n'aurait aucune limite, et l'esprit spirituel qui se résigne devant la volonté divine, devant la mort et condamne toute tentative d'égaler le pouvoir divin.
Avec le Docteur Frankenstein, nous avons là une nouvelle histoire, tout à fait différente de l'originale. Le mythe littéraire réécrit autrement, mais tout en s'inspirant de Mary Shelley et des réalisateurs de Sherlock Holmes. Une inspiration minime et une innovation flagrante qui déçoivent les fans du roman. Cependant, condamner un film à cause de son extravagance serait, à mon avis, injuste envers la qualité de la mise en scène, l'excellente prestation des acteurs et l'imaginaire singulier du réalisateur.