---Bonjour voyageur égaré. Cette critique fait partie d'une série. Tu es ici au dernier chapitre. Je tiens à jour l'ordre et l'avancée de cette étrange saga ici :
https://www.senscritique.com/liste/Franky_goes_to_Hollywood/2022160
Si tu n'en a rien a faire et que tu veux juste la critique, tu peux lire, mais certains passages te sembleront obscurs. Je m'en excuse d'avance. Bonne soirée. --


Mon créateur,


Cette lettre sera la dernière de notre correspondance. Et tu ne la liras jamais. Quand je l’aurais scellée je la glisserai dans notre tombeau, et les siècles l’oublieront.
Je te connais par cœur alors, j’en ai donné la preuve. Tandis que toutes les meutes du nouveau continent retournait chaque état pour retrouver tes cendres, je n’ai eu qu’à rentrer sur l’ancien pour t’y trouver. Je savais que même à l’agonie tu prendrais le risque d’une douloureuse traversée pour revenir mourir sur la terre qui t’a vu naître. Tu me l’avais toujours dis, et bien que c’eut toujours été sur un ton mi-rêveur mi-blagueur, je n’ai jamais été dupe. Tu as toujours réfuté cette partie solennelle de ta personne. C’est ce qui la rendait charmante.
Je n’avais pas plus que toi remis mes pattes sur la colline qui a vu notre rencontre, il y a des vies de cela. As-tu ressenti la mélancolie qui m’a saisi à la gorge quand tu a foulé ces terres quelques jours me précédant ? Ou étais-tu trop mourant pour ressentir encore la moindre émotion ? J’ai erré sur notre ancien territoire plus morte que vivante, à la recherche de ta dépouille. Ton odeur était partout, mais ton cadavre nul part. Je ne sais pas pourquoi j’ai lancé le dernier film de mon cycle ce soir-là. C’était l’instinct le plus absurde qui soit, tout cela n’avait plus le moindre sens et je songeais sérieusement à me donner la mort dans l’espoir de te retrouver de l’autre coté. Mais je suis tombée sur l’emplacement exact de notre ancien foyer, là où la meute se rassemblait les soirs de fêtes, où nous dansions et nous racontions des histoires tant que la lune nous illuminait. Il n’y avait plus rien qu’une herbe luxuriante, qui avait oublié les centaines de feux que nous y avions allumés, les milliers de vies que nous y avions rôties. Cette herbe là, si grasse, si saturée de vert, c’était comme un affront de vie. Je n’ai pas trouvé le courage d’y verser plus de sang que tout ce qu’elle avait déjà bu, pas même le mien. La nuit est tombée et j’ai regardé Docteur Frankenstein.
Un bien étrange film que celui-ci pour conclure toute cette épopée. Les anciens héros qu’étaient Christopher Lee ou Boris Karloff se font remplacer par de nouvelles tête d’affiche qui n’ont ni la réputation ni le talent à envier à leurs illustres prédécesseurs. Car malgré un épouvantable doublage français que j’ai du endurer, faute de mieux, le faune Tumnus et Harry Potter m’ont sidéré dès les premières images en incarnant si bien ces personnages que je pensais commencer à connaître. Disons-le, c’est ce duo Radcliffe – McAvoy qui porte à lui seul l’entièreté du génie du film sur ses épaules. L’un en Victor Frankenstein plus déterminé, plus effrayant, plus humain, plus fragile et plus réaliste que jamais ; l’autre surtout, en incarnant la parabole d’une vie complexe qui subit un renouveau formidable, faisant passer ses sentiments, son corps et son désir par une palette multiple sans jamais sonner faux, sans jamais en faire trop, en toujours étant juste.
Le reste c’est vrai est réussi mais terriblement conventionnel. Une musique très jolie mais qui renforce toujours le propos sans jamais essayer d’apporter autre chose, un montage parfois clipé toujours efficace mais un peu facile, des ralentis, des dessins en surimpressions, des jeux de reflets qui sont toujours du plus bel effet même s’ils n’apportent pas grand-chose de plus qu’un « oh c’est joli ! », un étalonnage sombre et désaturé qui correspond, certes, à l’ambiance, mais qui rappelle la pelleté d’autres films fantastico-horrifiques de la décennie tous battis sur la même esthétique.
Et finalement ça ne change pas grand-chose. Pas grand-chose à mon émerveillement, pas grand-chose au raz-de-marée d’émotion qui s’empare de moi face à ce renouveau qui se déroule devant mes yeux. Le mythe de Frankenstein a finalement réussi son entrée dans notre époque complexe. En nous présentant une réalité plus dur, plus réaliste que le conte initial ne le décrivait lui-même. Non, ce ne sont pas des membres humains que l’on tricote gentiment ensemble, ce sont des bouts de viande que l’on charcute. Non, ce n’est plus un savant qui pète totalement les plombs seul dans son manoir, c’est un homme un peu trop rationnel qui lute comme il peut contre un deuil irrationnellement douloureux. Oui, ceux qui veulent l’aider ne peuvent rien faire de plus que l’enfermer un peu plus dans sa folie. Oui, il y a des vautours autour qui essayeront de transformer les miettes qui tomberont de ce génie en pépites d’or. Sublime aussi, la façon dont le récit tente d’intégrer autant que possible ce qu’est et ce qu’est devenu cette histoire en un siècle de cinéma, sans jamais oublier qu’il s’adresse sans doute à un public néophyte qui appréciera qu’on lui explique pourquoi. Pourquoi la créature est grande, pourquoi elle a un si large buste, et pourquoi, même, son crane est plat.

Mais finalement le duo entre Frankenstein et sa créature, s’il est bien le cœur du film, n’est pourtant pas celui qu’on aurait pensé qu’il est. La « vraie » créature n’a qu’une existence succincte à l’écran, un intérêt scénaristique certes, mais pas d’enjeu en elle-même. Car la créature n’est pas celle que je recherche depuis le début du mois cette fois. C’est un autre monstre qui s’invite dans mon mois Frankenstein par inadvertance : le bossu. J’avais prévu de lui consacrer un cycle, plus tard, et voila qu’il surgit tout à coup là ou je ne l’attendais pas. Comme pour m’encourager à ne pas totalement abandonner, comme un teaser de ce que pourront être mes prochains mois de novembre. Ce bossu là est sublime, sans doute celui que j’aurais attendu le mois entier avant d’enfin pousser un cri de soulagement en le voyant finalement élevé à sa juste valeur en fin de mois. Daniel Radcliffe incarne de toute son âme et de tout son corps la trajectoire de la réelle créature de Frankenstein. Sauvé, soigné, élevé, choyé, encouragé et enfin abandonné par son créateur. Avant, dans un ultime élan d’amitié, de s’élever enfin à son rang, de se poser comme son égal, de le côtoyer comme un frère, comme la libération du deuil de celui qui a été perdu des années plus tôt.
Un écho lointain se fait en moi, entre ce film et notre histoire. Du héro qui n’est pas celui qu’on croit. De la mort qui n’est pas celle que l’on croit. Et malgré toute la folie qu’elle revêt, la rationalité extrême de cette homme qui ne souhaite que remplacer la vie qu’il a prit par une autre m’inspire. T’ai-je pris ta vie Lycaon ? Suis-je responsable, même à travers toute cette tempête de neige, de ce combat et de son issue ? Mon créateur. C’est comme ça que je t’ai appelé souvent, dans tes instants de doute, de faiblesse, quand je souhaitais te rappeler que je te devais tout. C’est fini désormais. Puisque je t’aime je ne peux pas plus être ta créature que toi la mienne, que Igor celle de Victor. En rabattant le clapet de mon ordinateur, seule sur cette colline hantée de nos souvenirs, je me suis forcée à réfléchir comme un scientifique, et non comme une veuve éplorée qu’il est trop tôt pour que je sois. Ton odeur est partout ici. Ton odeur mais pas ton sang. Tu es venu, certes, mais tu n’y est pas mort. Et puisque tu souhaitais plus que toute autre chose mourir ici, alors tu en es reparti en sachant que ton heure n’était pas venue encore.
Menacé sur le nouveau continent, bien vivant sur l’ancien, la lumière s’est faite peu à peu dans mon esprit. Il n’y a plus qu’un endroit ou tu peut être. Après avoir cherché au quatre coins du globe, je n’ai jamais été plus certaine d’une chose que celle-ci : tu es chez moi. Je rentre à la maison et je t’y retrouverai. Le doute était né quelques heures plus tôt, quand en passant sur le tombeau que nous nous étions creusé il y a plusieurs siècle, en prévision de la fin que la guerre précipitait, je n’avais pas même senti ton odeur. Ton odeur était partout sur cette colline sauf dans le cimetière dans lequel tu voulais t’éteindre. J’avais noyé cette folle étincelle d’espoir sous mon malheur, sous mon deuil déjà entamé. Mais mon dernier film du mois m’a appris que le deuil est dangereux pour l’âme et que l’espoir n’est que la naissance de la réalité. Alors cette lettre je vais la glisser dans ce caveau, pour qu’il soit occupé enfin, et car la seule chose qui meure à la fin de ce mois c’est notre séparation. Je cours te rejoindre. Je n’aurais plus jamais besoin d’un papier et d’un crayon pour te dire que je t’aime. Je rentre à la maison.


Pour toujours,
H.

Zalya
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le 30 mai 2019

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