Docteur Petiot prend judicieusement ses distances avec la réalité, son ouverture doublant le panneau de texte initial par une transition remarque du réel vers la fiction avec, en prime, la boule à neige empruntée à Orson Welles, pour aborder son personnage à la manière d’un vampire des temps modernes. Aussi Christian de Chalonge compose-t-il une variation brillante sur le mythe de Dracula, la référence initiale à Nosferatu étant égrenée au fil des agissements dudit docteur : sa veste noire qui vole au vent évoque la cape du comte, son visage fardé de noir une créature expressionniste, l’alternance entre vie diurne et vie nocturne la malédiction d’un être duel, bon et mauvais, séducteur et démon.
C’est que le cinéaste, comme son producteur et acteur principal Michel Serrault, investissent Petiot comme l’incarnation de l’esprit versatile d’une période de l’Histoire de France, puisque marquée par la délation, la collaboration et la résistance pendant la guerre puis l’épuration après elle. Le docteur joue tous ces rôles à la fois. C’est un acteur qui se saisit de l’instabilité politique comme d’une scène de théâtre : son quotidien voit ainsi les masques s’alterner, la morale respectée puis vaciller. Il est l’esprit de la France pendant la Seconde Guerre mondiale et au sortir de celle-ci. « La guerre permet de nous plonger dans une vraie nuit », affirme-t-il haut et fort. Dans la nuit de l’humanité.
De Chalonge et Serrault refusent d’ailleurs de le juger, ont l’intelligence de ne montrer ni l’enfance – ce qui aurait enfermé le film dans une démonstration pleine de présupposés psychologisants – ni l’exécution, troquant ainsi la chute tant attendue par le spectateur contre un plan symbolique sur des dizaines et des dizaines de valises empilées, trophées de chasse acquis au cours de son activité qui sont autant de signes de voyages. La démultiplication de l’identité du personnage s’y incarne, et trouve en Michel Serrault un acteur apte à lui donner un corps, une voix, une âme ; ce dernier tient là l’une de ses plus grandes performances, signe une composition saisissante.
Un immense film qui doit être (re)découvert, à l’instar de la filmographie de Christian de Chalonge.