Doctor Sleep, coup d'essai de Mike Flanagan, est divisé en deux volontés bien discernables : c'est à la fois une suite au Shining de Kubrick ainsi qu'un hommage réussi au travail de son auteur, Stephen King. Le pari était risqué : mêler deux visions absolument différentes de deux auteurs affirmés avait des risques de conduire à une déroute totale du fait de trop vouloir en faire; on pouvait même craindre que le film, tenté d'aborder tout un tas de thématiques, ne raconterait finalement pas grand chose.


Il se passe tout le contraire, au point qu'on pourrait être tenté de dire qu'il se perd un peu, parfois; Doctor Sleep, s'il ne veut pas trop en faire, évoque tout de même trop de personnages, de lieux et d'action pour garder sa crédibilité initiale. Ces incohérences, souvent tournées autour d'un défaut de gestion de temporalité, viennent certes briser la cohérence de l'intrigue mais lui permettent surtout de gagner en efficacité.


Cela se remarque surtout en ce qui concerne la dernière demi-heure et ses 2500 kilomètres faits en une journée de voiture (ou à peine plus) par Dan et Billy; que le montage coupe astucieusement le passage pour ne pas qu'on s'ennuie est compréhensible, mais que ses dialogues posent un cadre aussi ridicule qu'une journée pour faire autant de bornes crée un problème de logique d'autant plus fou que les trajets, certes plus longs, paraissaient déjà gérés par téléportation pour la bande d'antagonistes.


Une bande à ce sujet plutôt étrange, qui brille autant par son développement que ce qu'elle déçoit par son jeu caricatural et son côté meute de Twilight. Interprétée par des acteurs charismatiques et porteurs de gueule que Sergio Leone aurait, à n'en pas douter, apprécié, c'est encore une fois par l'écriture qu'elle se gâche : beaucoup trop stéréotypée, toujours à vouloir trouver la meilleure punchline au meilleur moment, elle devient, à mesure que l'expérience se déroule, un ersatz des méchants bien clichés des années 80.


Flanagan tentera de nous accrocher, de développer leur background par des illusions pas très fines au passé, par des souvenirs mal gérés et mal incrustés (Rebecca Ferguson qui, au moment de voir un ami mourir, raconte tout ce qu'il a fait dans sa vie tiens mieux du tire-larme pressé qui se serait rendu compte qu'on ne connaissait finalement rien du personnage que du véritable hommage épique qu'il était censé incarner).


Ferguson qui incarne d'ailleurs le pire personnage du film; elle aura écopé, pour sa première véritable excursion dans le registre horrifique, d'un rôle de tout ce qu'il y a de plus cliché et ridicule dans le fantastique. Chef de meute, elle mène ses troupes avec des regards méchants face caméra, tente des initiatives de mise en scène en voltigeant dans les airs façon Doctor Strange qu'aurait rencontré Angry Birds, et mène ses troupes à l'inévitable massacre final, balancé à la 12 Salopards comme un passage obligé du film et qui ne fait rien ressentir d'autre qu'un "les sons d'armes sont très réussis".


C'est principalement d'elle que vient cette volonté de balancer des phrases percutantes; Flanagan est tellement préoccupé de la rendre impressionnante, iconique, représentative du mal qui gangrène sa bande qu'il oublie la finesse obligatoire pour qu'un tel personnage soit réussi, et la réduit à un simple antagoniste primaire qui servira plus au développement de la relation entre les personnages principaux qu'à une véritable évolution de caractère venant de Danny (proprement joué par un Ewan McGregor comme toujours impeccable) et Abra, tenue par la toute jeune et toute nouvelle Kyliegh Curran, qui tenait là son premier rôle et campe la révélation du film; talentueuse et touchante, elle est sidérante.


Il est d'ailleurs curieux de voir tout le talent de ses acteurs malmené dans une caractérisation de personnages digne d'une série b : c'est un peu, au final, à l'image de cette mise en scène ultra-référencée Shining qui, 2h30 durant, multipliera les citations, les hommages, les réinterprétations et réécritures de plans sans pour autant parvenir à se dépêtrer de la mise en scène typiquement série de son réalisateur mieux expérimenté du côté du petit grand que de celui du grand.


Son oeuvre reste jolie de bout en bout, mais s'attaquer au Shining de Kubrick tenait simplement du suicide artistique : si l'on ne présente plus l'oeuvre de l'artiste, l'on sera surpris de suivre l'hommage de conclusion à l'Overlook, reprise astucieuse du travail du réalisateur réputé et de ce que pouvait apporter l'imagination de King dans le bouquin d'origine, puis celle de Flanagan dans cette suite/relecture de deux oeuvres cultes.


On en sort alors avec la drôle d'impression d'avoir beaucoup apprécié malgré des défauts qui l'annonçaient comme un film plus proche du médiocre que de la qualité qu'on en attendait; surement est du au fait que Doctor Sleep, sous ses grands airs de films de franchise horrifique, n'en possède que peu d'éléments caractéristiques et ne suit jamais, bien heureusement, le chemin de la facilité pour poser son ambiance.


Si c'est l'atmosphère qui prime ici, il n'imitera jamais le Ca de Muschietti en y balançant quelques jumpscares d'entretien du spectateur; il travaille sa tension palpable par la musique du film d'origine (il était en même temps bien aidé) et parvient à faire ressentir un véritable malaise au public, que ce soit par les fantômes qu'il utilise ou la manière qu'il a de filmer l'horreur. On regrettera cependant son manque de surprise évoqué plus haut : Doctor Sleep, comme un bon petit film formaté (mais pas trop) suit son cahier des charges sans jamais s'en éloigner vraiment, conduisant son spectateur vers une issue d'histoire qu'il aura devinée plus ou moins tôt.


Trop soucieux de rendre hommage aux deux oeuvres, il poursuit son histoire afin de leur rendre justice et pose l'inévitable conclusion qu'on attendait pour le Shining de Kubrick, terminant l'histoire de ses personnages d'une manière qu'on ne pouvait que prévoir. Doctor Sleep, un film qui manque de piment, de sel; trop linéaire, il nous aurait tous couchés au sol s'il n'avait pas eu ses acteurs ou sa mise en scène. On a frôlé la somnolence, donc.

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le 10 nov. 2019

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FloBerne

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