Dans l’optique de redonner un coup de fouet à une chantilly qui peut avoir sérieusement tendance à s’affaisser, l’ouverture à des dimensions limitrophes n’est pas complètement stupide. L’infini des mondes – le multivers, donc - devient un nouveau terrain de jeu, dans lequel temps et espace deviennent modulables, autant d’occasion de pousser à fond les curseurs du numérique au risque d’un WTF généralisé, mais assumé.
Ne nous leurrons pourtant pas trop longtemps : un nouvel arrivant dans la galaxie Marvel n’est pas la garantie de nouveauté. Une nouvelle fois, Doctor Strange reste gangrené par son à chier des charges : romance vaine, humour light, saupoudrage de clichés ; ici, le Nepal et le folklore d’initiation dans un temple avec encens, capuches et entraînements sur le mode « Petit Scarabée, dis à ton corps que tout est possible et tout sera possible pour ton corps ». Ajoutons à cela les raccrochages bien pesants à la phase N du MCU (oh oh, ce petit truc brillant vert est donc une pierre d’infinité, ça faisait longtemps), des personnages au charisme d’un hygiaphone à la sécu un mardi matin, et une trame générale qui, accroche toi à ton siège fidèle spectateur, consiste à, dis moi pas que c’est pas vrai, je te le donne en mille, sauver le monde.
Dimension miroir, dimension noire, d’avant le temps, promesses d’immortalité, tout cela ne dépasse pas les dialogues qui, eux, nous font bien prendre conscience de la durée d’un film pourtant raisonnable –et pour cause, il ne raconte pas grand-chose. Le méchant, censé être une dimension à lui seule, ne peut s’empêcher d’avoir des yeux, une bouche et une voix caverneuse, les voyages dans les multivers continuent à se faire sur le modèle du vortex coloré (CGI + psychédélisme = risques épileptiques ou nauséeux) ou du kaléidoscope : on aurait tant aimé, tant qu’on est à quitter notre tristement connue dimension, découvrir quelque chose de nouveau…
Finalement, on comprend vite que tout est laborieusement cousu autour de certaines séquences maîtresses, de la même façon qu’on écrit les James Bond après avoir déterminé les cascades nouvelles qui en seront les climax.
Reconnaissons un certain charme à ces deux principes fondamentaux que sont l’affranchissement de l’espace et du temps. La séquence d’ouverture et l’affrontement sur New York occasionnent de belles prises de vues, qui souffrent évidemment de la comparaison à Inception. Bien entendu, il s’agit d’en mettre toujours plus, et la surenchère, alliée à la rapidité proche de la bouillabaisse par instant, annihile comme souvent la possibilité d’une réelle fascination. Les façades de plient à l’envie, ça part dans tous les sens, et on finit souvent par arrêter de suivre. Quand on fait un film où l’on peut modifier le cours du temps, l’idée d’y instiller de la lenteur dans les scènes maîtresses pourrait lui donner ce cachet unique qui le ferait sortir du lot.
Pour ce qui est du temps, l’habituelle facilité consistant à voyage à travers lui permet des grossièretés scénaristiques qui désactivent bien des enjeux (on pourra toujours revenir en arrière si jamais…), mais permettent aussi une idée assez amusante dans la lutte qui oppose le héros au big boss final. De même, l’idée d’un combat apocalyptique sur une ville en train d’exploser à l’envers est assez séduisante.
Tout n’est donc pas à jeter, mais tout ce qui pourrait donner un brin d’individualité au film impitoyablement broyé par des intérêts d’une franchise en pilotage automatique. Un dernier exemple, la cape : amusante et presque cartoon, cet accessoire quasi personnage n’a le droit qu’à deux ou trois apparitions, alors qu’elle semble au cœur de la construction du héros. Il y avait là de quoi exploiter un charme à l’ancienne, qui aurait vu Disney ré-exploiter ce qui a fait son génie il y a bien des décennies.
Doctor Strange permet donc quelques menues réjouissances, mais n’est finalement qu’un maillon supplémentaire d’une chaîne de plus en plus pesante, et dont le spectateur tire le boulet avec une lassitude qui ne cesse de s’accroître.
(5.5/10)