Doctor Strange (Benedict Cumberbatch) fait la rencontre d’une jeune fille, America Chavez (Xochitl Gomez), qui a le pouvoir de traverser les différentes dimensions composant le multivers. Or, la jeune fille est pourchassée par Wanda Maximoff, alias la Sorcière Rouge (Elizabeth Olsen), qui espère utiliser ses pouvoirs pour trouver l’univers dans lequel ses enfants sont vivants, afin de reformer sa famille. Entre Strange et la Sorcière rouge s’engage une poursuite multidimensionnelle, dont les conséquences pourraient vite les dépasser… Mais comment gagner quand on ne peut même faire confiance aux autres soi ?


Film à la genèse compliquée, Doctor Strange in the multiverse of madness n’a pas eu l’air de choquer beaucoup de gens lorsqu’il eut le malheur de changer de réalisateur. Pire, la nouvelle fut accueillie comme bonne par un grand nombre quand on sut que Scott Derrickson était remplacé par Sam Raimi. Si le talent de Sam Raimi est absolument indéniable et qu’on pouvait en effet fonder de raisonnables espoirs sur lui, c’était toutefois faire une croix sur la promesse la plus excitante du film : faire un véritable film d’horreur au sein du MCU.

Entendons-nous bien : Derrickson et Raimi sont tous deux d’excellents réalisateurs. Mais leur conception de l’horreur diverge fondamentalement : Derrickson cherche avant tout l’horreur qui effraye, Raimi, lui, est plutôt l’artisan de l’horreur qui dégoûte, comme en témoigne son amusante trilogie Evil Dead (au passage, hilarant caméo de Bruce Campbell dans ce film). L’arrivée du réalisateur des premiers Spider-Man sonnait donc le glas de la meilleure nouvelle qu’on avait jusque-là sur ce film… Non, Doctor Strange in the multuiverse of madness n’est pas et ne sera pas un film d’horreur. Et quand on a vu le prodigieux Sinister, on ne peut qu’imaginer le génie de la version Derrickson, qui ne verra donc jamais le jour.

Pourtant, reconnaissons-le, Sam Raimi va déjà assez loin dans son horreur favorite, créant ainsi un film étonnant, qui s’éloigne parfois des canons Marvel avec une force réjouissante. C’est donc non sans une certaine jubilation que le spectateur trouvera dans ce film matière à se défouler par procuration. Sévices corporels, spectres hideux et personnages zombifiés sont donc à prévoir au programme de ce film qui comporte bon nombre de défauts, mais certes pas celui de ne pas être assez généreux.

Et si l’on pourra regretter éternellement de n’avoir pas eu la version qui nous aurait fait frissonner, on ne pourra pas dire qu’on n’a rien à se mettre sous la dent pour (tenter de) se consoler. D’ailleurs, on accorde toute notre sympathie et notre compréhension à ces parents qui ont voulu amener leurs jeunes enfants au cinéma en s’attendant à voir un Marvel bien familial et consensuel, et qui ont découvert le film de Raimi sur leur écran.


Comme n’importe quel film de Raimi, Doctor Strange in the multiverse of madness est d’une générosité folle, à moins qu’il ne soit d’une folie généreuse, à l’extrême. Quoiqu’il en soit, l’énergie et l’amusement du réalisateur sont tels qu’il faudrait être de bien mauvais poil pour ne pas les laisser nous envahir. Véritable train fantôme qui démarre dès la première seconde du film pour s’arrêter à la dernière seconde, le grand huit super-héroïque et gentiment horrifique de Raimi nous embarque pour un voyage qui ne laisse jamais indifférent.

Mais l’adhésion immédiatement suscitée par le style foutraque de Raimi ne doit pas nous empêcher de formuler certains regrets… La principale déception vient sans doute du scénario de Michael Waldron. Alors que le scénariste nous avait offert un prodigieux coup de maître avec sa géniale série Loki, sa deuxième incursion dans le MCU révèle de graves faiblesses. Ainsi, Doctor Strange in the multiverse of madness manque terriblement d’un vrai méchant d’envergure. Si la Sorcière rouge est plutôt réussie, il est un peu léger de n’avoir à se mettre sous la dent qu’une femme désorientée prête à briser l’univers en mille morceaux pour retrouver deux enfants imaginaires. Que le motif ne soit qu’un prétexte à embarquer dans un sacré délire n’est pas un problème en soit, mais c’est un peu léger dès lors qu’il s’agit de développer toute une intrigue sur cette seule base.


En outre, à l’efficacité narrative certaine de Sam Raimi sont sacrifiés tous les personnages du film. Si la Sorcière rouge peut bénéficier du talent de son interprète pour lui donner vie, le personnage ne retrouve jamais le développement dont il profitait dans la série qui lui avait été consacrée. De même, alors qu’il fait régulièrement intervenir des versions multiverselles de Strange et de Christine, le scénario n’explore jamais en profondeur la relation qui les unit, au-delà même des frontières du multivers, se contentant d’une bête déclaration en mode « je t’aime dans tous les univers qui existent » un peu courte, quand on voit comment le premier volet de 2016 réussissait en peu de phrases à complexifier ses personnages de belle manière (qu’on se souvienne du fabuleux dialogue entre les versions astrales de Strange et de l’Ancien). Un des plus gros gâchis du film reste sans doute le nouveau personnage d’America Chavez, qui se résume à hurler et à courir pendant 2 heures, sans que jamais un réel background ne lui soit donné, hormis une scène de flashback scandaleusement expédiée.

Mais le pire reste sans aucun doute – du moins en apparence – le sort réservé aux Illuminati. Teasés un peu partout dans la promo de manière plus ou moins subtile, ils n’entrent dans le film que pour mieux en sortir dans une scène certes réjouissante, mais qui nous fait nous poser des questions sur la raison du pourquoi du comment… En réalité, on ne dira pas qu’on ne s’y attendait pas, car Michael Waldron réitère ici ce qui avait plutôt bien marché avec les Gardiens du temps dans Loki. Seulement, là où le twist fonctionnait dans la série, car il n’était là que pour cacher le véritable cœur du récit, ici, l’introduction des Illuminati ne semble avoir d’autre raison qu’un fan service à peine intelligent, à la No Way Home.


Peut-être peut-on toutefois tenter de trouver un élément d’explication à l’expédition étrange de cet arc narratif. Car en effet, si l’on essaye de creuser sous la surface, contrairement à l’immense majorité des films Marvel, il est possible de trouver un sous-texte, qui paraîtrait d’autant plus cohérent en tenant en compte la présence de Raimi derrière la caméra. Le réalisateur et son scénariste n’auraient-ils pas cherché à faire avec le MCU ce que Colin Trevorrow avait fait avec la saga Jurassic Park ?

La question reste évidemment ouverte, mais on peut toutefois légitimement trouver dans le scénario de Michael Waldron un affrontement entre deux visions du cinéma. Et de fait, comment comprendre autrement l’introduction dans le scénario d’un groupe de super-héros nous faisant revenir aux fondamentaux super-héroïques d’il y a 10 ou 20 ans, à l’époque où l’on prenait encore au premier degré ce genre de super-héros ?

Ce que met en scène Doctor Strange in the multiverse of madness, c’est en effet le retour d’un groupe marqué par la présence de deux super-héros cinématographiques des années 2000 (les Illuminati n’étant d’ailleurs apparu dans les comics qu’en 2005), qui vient reprocher à un héros débarqué sur les écrans en 2016 (mais présent sur le papier depuis 1963) d’avoir perverti l’essence même de leur monde en s’éloignant des canons habituels du genre… Difficile de ne pas voir là un joli pied de nez de Waldron et Raimi à tout un pan d’une industrie cinématographique dépassée – pour ne pas dire écrasée – par son propre succès.

Mais bien sûr, le propos devient mille fois plus croustillant si l’on poursuit le parallèle :

ce groupe de super-héros, autoproclamé garant d’un ordre ancien, n’entre dans le film que pour se faire lamentablement détruire dans une scène d’action qui détruit à la racine le processus nostalgique dont on croyait que le film allait se faire le porte-parole. Aussitôt entrés, aussitôt sortis, les Illuminati font long feu face à la puissance terrible de la Sorcière rouge. Dès lors, Doctor Strange va ressusciter son propre cadavre pour maîtriser, avec l’aide d’une toute jeune héroïne (la plus récemment créée), l’antagoniste.

Formant un joli pont entre les générations, Sam Raimi et Michael Waldron semblent alors vouloir faire un puissant bras d’honneur aux puristes de l’univers Marvel, sorte de fixistes qui voudraient que rien ne change, en réaffirmant à la fois le formidable héritage qu’ils font fructifier et la capacité des nouvelles générations d’auteurs et de héros à prendre en main le flambeau qui leur est transmis. Respecter le passé pour mieux construire l’avenir, ne pas vouloir tout figer dans le temps, voilà qui résume assez bien toute la geste cinématographique de Raimi à travers sa carrière, ainsi que les buts apparemment fixés par Marvel dans son univers cinématographique, et Doctor Strange in the multiverse of madness s’en fait l’étendard inattendu.


Que ce soit le but ou non des scénaristes, cette vision du film a le mérite de nous permettre de mieux supporter ce qui aurait pu passer pour d’impardonnables erreurs d’écritures, même si cela ne comble pas tous les défauts du film, le reproche sur les motivations de l’antagoniste et le faible background donné aux personnages restant de mise. Tout comme la faible utilisation du multivers qui se retrouve finalement réduit ici à deux ou trois univers, comme si les producteurs avaient eu peur de trop s’engager dans cette voie.

Ce qui frappe, surtout, c’est l’apparente inutilité de ce film dans le MCU. Prétendant nous introduire au multivers, Doctor Strange in the multiverse and madness ne fait que reprendre ce que la série What if… ? avait déjà créé avant lui, et ne tisse pour ainsi dire aucun lien majeur avec le reste du MCU. Alors que le film avait été annoncé comme une pierre angulaire de la phase IV, on a du mal à voir en quoi il sera essentiel, sauf, peut-être, pour avoir introduit un personnage qui pourra revêtir une certaine importance par la suite.

C’est peut-être tout le paradoxe de Doctor Strange in the multiverse and madness : en tant que film Marvel, il est tout juste passable, mais en tant que film de Sam Raimi, il est absolument réjouissant, tant les producteurs semblent lui avoir laissé carte blanche.

C’est donc avec un plaisir non dissimulé qu’on fermera (en partie) les yeux sur les faiblesses scénaristiques du film pour mieux se concentrer sur le spectacle total auquel on est convié. Les plans fous de Raimi, la caméra affûtée de John Mathieson (un des directeurs photos attitrés de Ridley Scott), la partition épique de Danny Elfman (même si elle délaisse trop le prodigieux thème de Michael Giacchino), la créativité des décors, la direction artistique psychédélique et le talent d’acteurs tous investis dans leur rôle suffisent amplement à prendre son plaisir dans ce qui restera un film très mineur pour le MCU, mais probablement un divertissement majeur dans la carrière de ses créateurs.

Et la preuve que lorsqu’il fait preuve d’humilité, le MCU a encore de belles choses à nous offrir. La prochaine fois, on espère qu’il ne licenciera ses meilleurs artistes pour qu’on puisse s’en rendre compte.

Tonto
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le 7 mai 2022

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