Dodes'kaden, oeuvre à part dans l'oeuvre de Kurosawa est un assemblage disparate de huit nouvelles tirées d’un livre de Shugoro Yamamoto, *Le Quartier sans Soleil.*Le point commun entre ses nouvelles c'est de se situer dans des baraquements occupés par des miséreux. Le ton est profondément pessimiste, reflétant la pensée fausse de Kurosawa:
Le miracle économique ne durera pas, parce qu’il prend appui sur la misère morale et l’injustice
Les séquences burlesques alternent avec l'étrange, le sordide avec la compassion. Les apparitions du "zinzin au tramway" rythment le film sans pour autant en être la colonne vertébrale.Avec sa précision coutumière Kurosawa soigne particulièrement son personnage: non seulement il "conduit" le tramway fictif par tous les temps de jour comme de nuit mais passe du temps à en contrôler toutes les pièces et peste contre les mécaniciens peu soigneux !
Le mélange des genres, le pessimisme global, le côté absurde côtoyant le mélodrame le plus dur ont désorienté le public japonais à la sortie du film. Les séquences les plus dures montrent le clochard et son fils, habillés de haillons, logeant dans une 2 CV. Le fils mendie de la nourriture dans les cuisines des restaurants, le père est un genre de fou possédé par l'esprit d'un architecte, qui passe son temps à rêver à la maison idéale. Et en plus il entraîne son fils dans son délire. Une séquence de nuit, filmée au travers de filtres, avec un éclairage rougeoyant de fin du monde, montrant l'enfant malade dans la 2CV, est proprement terrifiante, inhumaine. On pourrait y ressentir l'influence des anciens films de fantômes japonais. Car le lien entre la plupart de ces malheureux personnages semble être la possession des esprits. Les poivrots sont possédés par l'alcool; le fonctionnaire est prisonnier de ses tics et de sa femme; l'ex-mari trompé, enfermé dans son chagrin, est devenu un autiste. Et l'épouse repentante et aimante ne pourra que pleurer et le quitter définitivement. L'oncle, victime de l'esprit de la paresse, cumule alcoolisme, exploitation des femmes de sa famille et inceste pour finir. Seule personne réellement Zen, sans espoir ni crainte, le vieil artisan donne tout son argent au voleur, maîtrise le forcené au sabre, empêche le suicide d'un désespéré. Etrangement ce vieux sage qui sculpte sans relâche ses vignettes ressemble physiquement au dessinateur Hergé et il éclaircit la ligne mélo à chacune de ses apparitions !
Et il est curieux de voir se dégager dans ce mélange de plusieurs univers, dans ces montages savants et hétéroclites, en fin de compte une cohérence pour une expérience cinématographique rare que je ne peux que conseiller.
[durée ressentie: 1H45]