Dodes'kaden marque un tournant dans la carrière de Kurosawa. Il s’agit du premier film en couleur du réalisateur et aussi du premier film sans la présence de Mifune, son acteur fétiche qui créait une unité dans l’œuvre du maître nippon. Les deux hommes se sont malheureusement brouillés lors du tournage du précédent film : Barberousse qui signa leur dernière collaboration.
Ce film est donc une aventure nouvelle pour Kurosawa. Une aventure qui se soldera pour lui par une dépression après l’échec commercial du film suivi de lourdes dettes, au point de le conduire à une tentative de suicide.
Dodes'kaden nous met en présence de tout un univers de personnages farfelus et baroques habitant un bidonville de la périphérie de Tokyo. C’est un étrange mélange de dureté des rapports humains et de légèreté qui se dégagent de ce petit monde fermé et sans avenir. Comment s’échapper sinon par la fantaisie et le rêve comme cet homme vivant dans une 2CV avec son jeune garçon et passant ses journées à imaginer une magnifique maison au sommet d’une colline verte ou ce jeune garçon limité mentalement, s’imaginant conduire un train imaginaire dans les ruelles. D’autres trouvent des échappatoires différents : le commérage, ou bien l’échangisme ou encore l’alcool. D’autres choisissent la bienveillance et on admire ces pépites d’humanité comme cet homme qui accueille à bras ouvert la nuit le voleur qui pénètre sa chambre, ou cet homme qui élève avec amour des enfants qu’il sait ne pas être pas les siens.
J’ai été particulièrement séduite par la proposition visuelle de Kurosawa. Dodes'kaden nous offre un contraste appuyé entre la saleté, la grisaille, la boue du bidonville et les couleurs saturées qui illuminent ce monde triste, lugubre et déprimant. Les images rêvées, en particulier, ont un côté psychédéliques. On ne pouvait pas s’attendre à moins de la part d’un réalisateur aussi perfectionniste que Kurosawa. Il n’est pas simplement passé du noir et blanc à la couleur, il a transcendé l’image. La couleur apporte réellement un plus au film. Sans elle, Dodes'kaden ne fonctionnerait pas. Kurosawa n’est pas seulement un réalisateur, c’est un artiste, un maître de l’image, de la composition et désormais de la couleur.