D'emblée Vivre et Barberousse m'avaient bouleversée, il m'a fallu un peu plus de temps pour entrer dans un univers où le réalisme le plus noir flirte avec l'humour et la poésie, portrait cruel et sans concessions du Japon industriel dont Kurosawa disait : "le miracle économique ne dure pas parce-qu'il prend appui sur la misère morale et l'injustice"


On va donc suivre le parcours d'un adolescent un peu attardé, fasciné par les trams, qui, sérieux comme un pape, revêt quotidiennement sa tenue de travail et devant les yeux d'une mère médusée, se met aux commandes imaginaires de sa machine.


Une bande son très réaliste accompagne le moindre geste de Rokuchan dans un périple qui va le conduire et nous conduire , non pas au pays des rêves mais dans une sorte de no man's land, un bidonville où cohabitent tous les maux de la nature humaine quand la misère leur ouvre le pas.


Entre ivrognes échangistes et bagarreurs, fille exploitée et violée par son père adoptif, clochard illuminé vivant avec son jeune fils dans une carcasse de voiture, homme prostré, regard fou et hagard déchirant inlassablement des bandes de tissu qui lui rappellent sa gloire passée, perdu dans les limbes d'un souvenir qui a dévasté sa vie quand sa femme l'a trompé, c'est toute la cruauté et la noirceur d'une réalité qui nous apparaît toutefois sublimée par une représentation abstraite : décor artificiel ou ciel peint sur toiles dans des couleurs flamboyantes.


Et puis malgré ce pessimisme et cette désespérance, quelques pans poétiques illuminent le film : l'enfant, petit poulbot attendrissant tout droit sorti des Misérables, construisant en esprit avec son père la maison de leurs rêves, ou encore le vieil artisan pétri de sagesse, accueillant tel un fils prodigue le voleur qui s'est introduit chez lui nuitamment, ou aidant l'homme désespéré et las de l'existence à recouvrer l'espoir grâce au souvenir qui fait revivre à jamais les chers disparus.


Une oeuvre noire, certes, mais où l'humanisme revêt les couleurs du rêve et de l'imagination qui permettent à chacun d''échapper à la grisaille ambiante et au quotidien aussi lourd et pesant soit-il.

Créée

le 17 mars 2012

Critique lue 1.6K fois

103 j'aime

25 commentaires

Aurea

Écrit par

Critique lue 1.6K fois

103
25

D'autres avis sur Dodes'kaden

Dodes'kaden
guyness
8

La cour du miracle

Toute la réussite (et le petit miracle) de ce film tient en un mot: équilibre. Kurosawa plonge pendant un peu plus de deux heures (alors qu'il en voulait au minimum le double à l'origine, lorsqu'il...

le 14 août 2011

63 j'aime

9

Dodes'kaden
Sergent_Pepper
6

Apologie de l’apologue

Entre rupture et continuité, Dodes’ka-den occupe une place particulière dans la filmographie de Kurosawa. Continuité, tout d’abord, par les thèmes qu’il aborde, et qui semblent prolonger l’attention...

le 27 janv. 2015

40 j'aime

4

Dodes'kaden
KingRabbit
10

Tu vas l'avoir ta piscine mon petit !!

Jusqu'à maintenant j'ai toujours pensé que Kurosawa serait mon cinéaste maudit, et que je n'arriverai jamais à apprécier son oeuvre. J'ai à 4 ou 5 reprises voulu matter "Ran", et j'ai été incapable à...

le 16 mars 2013

26 j'aime

1

Du même critique

Rashōmon
Aurea
8

Qu'est-ce que la vérité ?

L’Homme est incapable d’être honnête avec lui-même. Il est incapable de parler honnêtement de lui-même sans embellir le tableau." Vérité et réalité s'affrontent dans une oeuvre tout en clair...

le 30 oct. 2012

424 j'aime

145

Call Me by Your Name
Aurea
10

Parce que c'était lui...

Dans l'éclat de l'aurore lisse, De quels feux tu m'as enflammé, O mon printemps, mon bien-aimé, Avec mille et mille délices! Je sens affluer à mon cœur Cette sensation suprême de ton éternelle...

le 23 févr. 2018

372 j'aime

278

Virgin Suicides
Aurea
9

Le grand mal-être

J'avais beaucoup aimé Marie-Antoinette de Sofia Coppola, j'ai regardé sur Arte, Virgin Suicides, son premier film qui date de 1999, véritable réussite s'il en est. De superbes images pour illustrer...

le 30 sept. 2011

362 j'aime

114