Comme si la lumière auparavant si clémente, refusait désormais d'épargner la ville

"Dogville", sous ses aspects faussement compliqués, est un film intéressant bien que formel. Le propos est celui d'une fable dont il faut considérer le manichéisme et une évidente forme de moralisme, mais le réalisateur le gratifie ici d'un désenchantement assez déconcertant, un parti pris qui fait débat et qui donne à l'œuvre tout l'intérêt qu'on peut sciemment lui prêter.

Le dispositif peut d'abord paraître repoussant: un décor dépouillé et minimaliste, un studio passablement austère, un sol froid sur lequel sont tracées les contours des maisons, des rues, et un banc, tourné vers cet extérieur qui n'existe même pas. Une étrangère arrive, affublée d'un nom, en forme d'entité plutôt que d'identité, celui de Grace. Elle vient du coté obscur, des coulisses, et révèle assez rapidement la paranoïa d'un village et sa peur de l'étranger. Pourtant, elle se pose immédiatement en situation de vulnérabilité, étant à protéger, à cacher de ceux qui la poursuivent. Réfugiée pour quelque raison obscure dont on est incapable d'évaluer la gravité, cette femme étrangère semble sans âge, sans goût, sans affect, sans aspiration ni expériences particulières.

Dévouée à la cause villageoise, elle va tour à tour endosser quantité de rôles: garde-malade, aide-soignante, nourrice. Elle participe de plein gré à la vie économique du village, jusqu'à se laisser dépasser par ce qu'elle croit cautionner et maîtriser. Elle devient finalement l'élément révélateur et l'esclave des pulsions les plus animales des habitants du village.

Ici, les indices foisonnent à volonté: il n'est d'abord question que du principe de mérite et de punition, de droit renié et d'honneur, du regard que l'on subit et contre lequel il n'est pas possible de s'élever. Ici, le choix d'une voix-off monocorde et passablement indifférente aux drames qu'elle décrit n'est pas sans nous convaincre que le propos du réalisateur n'est pas encore dévoilé, que l'enjeu ne se situe pas immédiatement dans ce qui nous est donné à voir, mais dans la manière dont Grace reçoit et accumule l'animosité de ses proches.

La scène finale est quasiment jouissive, et permet à Grace de déverser à son tour tout ce sadisme dont les autres l'ont nourri. Pour les spectateurs qui restent hermétiques à l'ensemble du film, la fin peut paraître comme une sorte de soulagement espéré, mais aussi un revirement malhonnête ou capricieux.
Lorelei3
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le 10 août 2011

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