Il fut un temps où Albert Pyun avait du talent. Le début des années 90 a été une période charnière dans l’établissement de sa prolifique filmographie. Guéri du cinglant échec de Captain America, le réalisateur s’est alors remis au turbin, sortant coup sur coup deux films de kickboxing (Kickboxer 2 et Bloodmatch) tout en préparant ce qui restera sans nul doute son meilleur film : Nemesis. Un an auparavant, l’hawaïen avait également collaboré avec Charles Band dans le cadre d’un projet très similaire, qui réunissait le combo gagnant de la firme : Science-fiction parodique + Tim Thomerson + fétichisme des poupées.
Difficile de ne pas faire la comparaison avec un autre classique du studio : Trancers et son flic du futur qui voyageait dans le temps pour aller botter le cul des méchants. Des influences à mettre au crédit de Blade Runner et Terminator, autant dans la description de son univers dystopique que dans l’idée de modifier le cours de l’Histoire en revenant dans le passé. Une pirouette scénaristique qui permettait surtout d’éviter de produire d’onéreux décors et matte-painting. On ne change pas une équipe qui gagne, et nous ne serons donc pas surpris de retrouver l’acteur affublé de son fidèle trench-coat ainsi que du même caractère psychotique pour interpréter un simili Dirty Harry croisé avec Rick Deckard, usant plus volontiers des balles que de la diplomatie. Son pire ennemi porte d’ailleurs les stigmates de leur dernière rencontre, réduit à une tête ambulante se déplaçant à l’aide d’un jet-pack.
Brick Bardo est un flic de la planète Arturus, suspendu suite à des méthodes jugées un brin trop expéditives aux yeux de sa hiérarchie. Dès l’introduction, l’acteur confirme tout les espoirs placés en lui, puisqu’on le verra désamorcer une prise d’otages armé d’un paquet de lessive, de son linge sale, et de ses couilles. Le pouvoir de persuasion-intimidation du bonhomme reste néanmoins grandement influencé par sa répartie aussi incisive que son super magnum, réduisant ses ennemis en charpie, les effets gores sans supplément. Parce qu’il ne s’agit pas d’une arme conventionnelle, celle-ci étant capable de lui revenir tel un boomerang dans les mains et de renverser totalement le rapport de force pour reprendre le contrôle de la situation.
Après une introduction placée sous les meilleurs hospices, bénéficiant de compositions très soignées et conclut par un duel Léonien aussi nerveux que stylisé (scope, très gros plan sur les dégaines et trognes patibulaires de ses adversaires, échange de regards), Brick Bardo se lance à la poursuite de sa Némésis jusque dans l’espace. Mais leurs vaisseaux finiront happés par un trou noir les menant à plusieurs millions d’années lumières de leur galaxie, échouant je vous le donne en mille : sur notre bonne vieille planète Terre. Plus particulièrement dans le Bronx. Naturellement une destination aussi peu «exotique» permet de réaliser des économies d’échelles substantielles, et puis la banlieue New-Yorkaise, c’était déjà plus ou moins la jungle à l’époque.
Les friches industrielles et environnements sinistrés pourvoyaient tout ce qu’il fallait pour générer un semblant de désordre post-apocalyptique. L’insécurité régnait dans ces quartiers défavorisés totalement laissés à l’abandon par la municipalité et les forces de l’ordre. Dollman est un film marqué du sceau de son époque, situé quelque part entre dans les productions urbaines «in da hood», l’avènement de la culture Rap et Hip-Hop, les baggies, bandanas, gangs tribaux et les «Fuck» à tout bout de champ. C’est également après son débarquement dans l’arrondissement, que le spectateur réalisera toute l’envergure de son titre (Dollman).
En effet, le réalisateur ne mettra pas longtemps à nous révéler le pot aux roses, après une confrontation opposant Brick Bardo à un groupe de latinos en pleine séance de déflorage. Le flic va alors éparpiller la faune d’autochtones locaux à coup de pétoire, mais là où le bat blesse, c’est que le personnage n’est pas plus grand qu’une poupée Action Man. S’il reste une terreur de la gâchette, il n’en reste pas moins vulnérable à n’importe quel danger et futilités terrestres, puisqu’un rat ou un cafard pourrait le tuer. Heureusement pour lui, aucun adversaire n’arrive à sa cheville, et le policier va donc nettoyer la banlieue au karcher laser pour débusquer son dangereux fugitif.
Si l’argument absurde de départ pouvait laisser craindre le pire, Dollman n’en reste pas moins un film cohérent grâce à une série de gunfights explosifs et musclés (Brick Bardo qui repeint les murs du studio de Debbie avec le sang du comité d’accueil), suffisamment bien chorégraphiés et généreux en hémoglobine pour s’imposer comme une sympathique série B. Le réalisateur pense également à apporter quelques petites touches de second degré grâce au décalage opéré par cette situation fantaisiste. On s’amusera par exemple à voir le héros assailli par une horde d’enfants qui voudraient bien jouer à la poupée. Le scénario parvient lui aussi à surprendre grâce à l’apport d’un nouvel antagoniste interprété par Jackie Earle Haley (Freddy – Les Griffes de la Nuit, Watchmen), qui de sidekick comique va se muer en véritable psychopathe cherchant à régner sur tout le quartier, quitte à tout faire exploser avec l’aide d’une bombe qui aura surtout l’effet d’un pétard mouillé.
Contre toute attente, Albert Pyun parvient à combler l’étroitesse de son budget par de simples artifices et effets de mise en scène, bien que les incrustations soient parfois un peu plus hasardeuses. Il faut dire que les plans dans des décors de décharges à ciel ouvert aident foncièrement à simuler et juxtaposer les différentes échelles lors des séquences d’actions. Mais c’est aussi sur cet artisanat de bric et de broc teinté de naïveté que reposent généralement les productions du studio. On regrettera néanmoins que le film n’est pas exploité son concept à fond. Cela aurait pu être marrant de voir Brick Bardo tenté de s’adapter à sa nouvelle condition dans un monde lui étant totalement étranger, mais le décor se cantonnera souvent à un champ de ruines, un hangar ainsi qu’au même appartement.
Mais Charles Band ne perd pas le Nord, et il saura faire revenir son héros dans le cadre d’un cross-over commercial où l’on verra le policier lilliputien faire équipe avec l’infirmière nymphomane de Bad Channels contre les jouets diaboliques de Demonic Toys. L’idée n’est pas sans rappeler celle des studios Marvel où des Universal Monsters. Si cette politique d’expansion pourrait paraître novatrice pour son temps, le producteur n’a en réalité cherché qu’à capitaliser à peu de frais, réemployant allègrement d’anciennes séquences afin de s’épargner la tâche d’avoir à en produire de nouvelles. D’ailleurs, s’il fallait trouver un véritable pionner en la matière, il faudrait remonter jusqu’aux origines littéraires, notamment avec Jules Verne et ses voyages fantastiques, où l’on retrouvait parfois plusieurs lieux et personnages emblématiques dans d’autres romans issus du même univers (20 000 Lieues sous les Mers, L’Ile Mystérieuse, Les Enfants du Capitaine Grant). Mais Dollman met du cœur à l’ouvrage et ne devrait pas manquer de vous faire passer un bon moment, prouvant au passage que la taille importe finalement moins que le fond. Pas vrai Debbie ?
Le sage pointe la lune, l’idiot regarde le doigt. Alors s’il te faut un guide pour parcourir l’univers étendu de la Full Moon Features, L’Écran Barge te fera découvrir le moins pire et le meilleur de l'oncle Charles Band, le Walt Disney de la série bis !