Cette fois, deux ans après "Baisers volés", Antoine est marié avec Christine, qu'on a découvert dans le film précédent, et travaille désormais comme fleuriste, qui ne manque pas de donner des conseils de "monsieur-je-sais-tout" sur les plantes, à ses beaux-parents. Evidemment, vu que c'est Doinel, il ne garde pas longtemps cet emploi.
Truffaut a construit son petit monde autour du personnage d'Antoine Doinel, et commence à y faire de plus en plus référence.
Antoine raconte que quand il tombe amoureux, ce n'est pas que d'une fille, mais de toute la famille, et qu'il aime quand les parents sont gentils ; ça fait écho à "Antoine et Colette", et je trouve que cette info est un ajout intéressant au personnage.
Truffaut devient même très auto-référentiel. Il y a une scène dans la cave à vins de Christine qui reprend celle de "Baisers volés", sauf que cette fois c'est elle qui force le baiser. J'ai trouvé ça pas mal aussi.
On retrouve ce personnage qui m'avait interloqué dans le dernier film, celui qui fouillait dans les poubelles et semblait connaître Antoine. J'ai vérifié sur IMDb, et il n'est pas dans Les 400 coups. Je crois que Truffaut a voulu créer dans "Baisers volés" un nouveau personnage qui serait une simple connaissance d'Antoine, qu'on croiserait juste comme ça. Mais ce n'était pas clair, je croyais que c'était un personnage déjà connu que j'avais oublié, ou que je n'aurais pas reconnu une fois adulte. L'idée était plaisante néanmoins, et je pense que sa réapparition ici sert notamment à comprendre la fonction de ce personnage.

On reconnaît aussi des éléments caractéristiques de Truffaut : les plans sur les jambes des femmes ; une façade de cinéma, visible face à l'entrée de l'immeuble. Il y a aussi une allusion à Laurel et Hardy (Antoine propose à Christine de nommer ses seins ainsi) me laissant penser que Truffaut les aime particulièrement, puisque des enfants portaient des masques à leur effigie dans "Baisers volés".
Le réalisateur fait aussi particulièrement allusion à ses références dans "Domicile conjugal", c'est assez inattendu. Il y a une scène dans le métro qui m'a paru n'exister que pour y mettre en scène un personnage calqué sur celui de Mr Hulot, de Jacques Tati. Mais... pourquoi ?
Un personnage se nomme Jean Eustache. A la télévision, un "comique" imite Delphine Seyrig dans L'année dernière à Marienbad. Et les gens en rient, comme si ce film était une référence pour tous et donc qu'une imitation soit drôle. Eh non, François, Marienbad ça ne fait pas rire tout le monde. L'imitation n'est d'ailleurs même pas bonne. Mais le lendemain matin, tout le monde se précipite vers l'imitateur en le voyant. Tous ceux qui le prenaient pour un mec bizarre en le voyant passer dans l'immeuble arrivent tous, d'un seul coup, pour le féliciter. On se croirait dans la quatrième dimension.
Le plus wtf, c'est que cet imitateur cite ce que le personnage de Seyrig disait à Antoine dans "Baisers volés". Je ne comprends pas pourquoi Truffaut a choisi de faire ça, et quel sens il voulait attribuer à cette scène, s'il y a un sens là-dedans. Le personnage d'Antoine regarde l'imitation à la TV, semble réagir, et finalement ne dit rien.
Je crois comprendre que Truffaut veut briser les barrières de la fiction par une mise en abyme de son propre univers, en rendant par exemple conscient le personnage de Doinel du fait qu'il est dans un film, quand il parle de "la fin du film", mais il n'y a aucune logique dans le fait qu'un imitateur connaisse la vie du personnage, et qu'en plus celui-là ne sourcille même pas. Truffaut fait référence à "La mariée était en noir", quand Doinel tient un programme de cinéma avec une image de ce film dedans, mais là c'est différent, puisque Doinel peut ne pas appartenir au même univers.

Je ne comprends pas Truffaut ici, pour moi ce film est un OVNI dans sa carrière.
Malgré les quelques signes, évoqués ci-dessus, que ce film est de lui, je ne le reconnais pas.
Ses personnages semblent tous en ruts, et disent tout haut ce qu'ils devraient penser tout bas : un homme dans les locaux de sa boîte qui se dit à lui-même mais à voix haute que s'il avait des seins il se les caresserait toute la journée, le vieux qui mate les jambes de Christine et dit qu'il la baiserait bien ("je la baiserais mal, mais je la baiserais bien"), la voisine qui demande à Doinel ce qu'il pense du fait qu'elle a jeté sa culotte de pyjama, ...
Les personnages sont très étranges, je ne les comprends pas. Il y a une maîtresse du héros qui lui dit que si elle se suicide, elle le ferait bien avec lui. (?!?)
On n'a même pas d'exploration intéressante des personnages et des relations comme d'habitude avec Truffaut. Tout ce qui se passe dans ce film relève de l'anecdote qui, à la limite, fait sourire : Doinel qui doit récupérer l'argent des leçons de piano de sa femme, qui blague sur un article de journal, qui appelle l'horloge parlante mais obtient l'hôpital Cochin... Le seul truc un peu plus drôle que le reste, c'est le type qui arrive, cherche visiblement quelque chose, et explique finalement qu'il cherche la bagarre. Mais c'est vain, on ne dirait que des éléments d'un patchwork sans but.
Truffaut, quand il essaye de signifier quelque chose dans ce film, le fait avec trop d'insistance : ce zoom sur Doinel quand il nomme le bébé Alphonse sans l'approbation de sa femme, Christine qui demande deux fois en 5mn à ce qu'on l'appelle madame.
Ca devient lourd et on perd carrément la logique quand Christine se costume en japonaise pour faire comprendre qu'elle sait qu'Antoine la trompe, alors que si j'étais en colère je me ferais pas chier pour une pareille mise en scène saugrenue. Quand Christine ne veut plus voir Antoine, on le signifie par le fait qu'elle retire la photo du couple d'un cadre, sous laquelle se trouve la photo d'un danseur qu'elle admire. Qu'est-ce que cette photo foutait là, en dessous ? Et on est trop ancré dans univers réaliste pour accepter ce genre d'effets de style.
A part ça, on trouve des erreurs techniques et failles dans la logique habituelles chez certains Truffaut.

Antoine Doinel dit à un moment qu'il ne connaît pas l'ennui, qu'il en a seulement entendu parler chez les autres (et finalement, il le connaît d'ici la fin du film). Moi, je ne le connaissais pas chez Truffaut. Maintenant si. Me suis ennuyé car les scènes paraissent juste banales, avec du "food for thoughts" qu'en de rare occasions. Il n'y a que vers la toute fin du film qu'on explore des relations humaines, avec le rapport qu'il y a entre Antoine et Christine après leur séparation. Situation difficile et lien flou entre eux. Ils s'aiment encore, mais se rejettent, Christine ne veut pas qu'Antoine l'embrasse, et pourtant tient encore à lui, s'inquiète même, et finit par réclamer un baiser, parce qu'elle le souhaite, en opposition au moment où c'était Antoine qui le voulait, de façon "égoïste".
Mais pire que l'ennui, ce film est en quelque sorte horrible. Antoine ici est un salaud, il trompe Christine ; il croise son beau-père en allant aux putes ; et la fin du film est terrible. Les deux protagonistes deviennent un couple aigri qui reproduit à l'identique (et c'est en ça aussi que Truffaut fait dans la lourdeur) les gestes de leurs voisins, un couple plus âgé.
Horrible, oui.

J'aurais mis moins que 5 sans les petites touches intéressantes par moments, mais c'est clairement le moins bon Truffaut que j'ai vu jusque là.
Fry3000
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le 16 févr. 2012

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Wykydtron IV

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