La disparition d'un artiste est presque toujours prétexte à quelques larmes et une réhabilitation parfois un poil hypocrite de son oeuvre, même si, de son vivant, on avait tendance à la dénigrer et à cracher dessus sans vergogne ni mesure.
Alors qu'il se donnait la mort le 19 août 2012, Tony Scott n'aura pas même eu droit à cela. En tout cas pas en France. Et les fossoyeurs s'en donnaient presque à coeur joie. Libiot, Couston incarnaient les frères tape-dur, dans un premier temps sans remord (écrivaient-ils), avant, pourtant, dans un dernier paragraphe en forme de rétropédalage, d'édulcorer un discours finalement nauséabond et honteux, étrangement similaire dans une pensée unique, celle que l'on se refile en forme de prêt à l'emploi lardé d'expressions toutes faites. "Bouses boursoufflées", "faiseur", "conspué par la critique". Ni fleurs ni couronnes, les insultes tiendront lieu de condoléances. Si même les morts n'ont plus droit au respect...
Domino représentera pour certains le sommet de la détestation du bonhomme et utiliseront à coup sûr les raccourcis à base de convulsions épileptiques qui filent la migraine et de poses maniéristes. Il n'est pourtant que le prolongement des travaux de Spy Game : Jeu d'Espions et de Man on Fire. Mais ici, Tony Scott laisse libre cours à des intentions très punk rock et exubérantes. Les images qu'il met en boîte sont encore plus saturées de couleurs extrêmes, ses sous-titres et les éléments qu'il imprime à l'écran, plus vivants. Le biopic à la sauce Scott n'est pas du tout un biopic. Le monde réel s'efface dès les premières minutes de l'interrogatoire et la fragmentation de sa narration. Comme si Domino Harvey racontait les derniers événements, tout en se souvenant d'autres choses et que les apartés devenaient nécessaires pour expliquer comment on en est arrivé là.
Le monde réel n'est plus, comme le souligne le point de vue adopté par la caméra de l'émission de télé réalité qui suit l'équipe de chasseurs de primes qui questionne le sens des images et leur représentation. Comme le souligne le second degré utilisé ou les constantes références à de tristes marqueurs d'une Amérique dérangée, fausse, factice, qui ne charrie plus du tout le fameux rêve.
Mais avant tout, Domino s'envisage comme un trip sensoriel dans lequel Scott s'affranchit de la plupart des codes pour déconcerter son spectateur, le secouer, pour se créer son propre langage cinématographique où l'image est constamment triturée, saccadée, ralentie. Le tout dans un paroxysme créatif qui fascinera certainement autant qu'il rebutera.
Le plaisir ressenti est incontestablement fort, l'expérience tout aussi viscérale qu'anticonformiste. Le flot ininterrompu d'images peut laisser penser que Domino est un joyeux bordel qui emprunterait une trajectoire incertaine. Il n'en est rien. Car Tony Scott est trop conscient du monde qui l'entoure et du sentiment désabusé qui l'anime.
Domino est un shoot d'adrénaline survolté et terriblement addictif, transgressif tant dans sa forme rock que dans ses thématiques. Renversant, éreintant, tutoyant les sommets de la filmographie d'un réalisateur mal aimé.
Behind_the_Mask, qui n'aime pas les rubriques nécrologiques.