Les attendus peuvent être trompeurs : lorsqu’on annonce une comédie musicale autour du mythe de Don Juan, qui plus est incarnée par des comédiens aussi charismatiques que Virigine Efira et Tahar Rahim, un certain lustre glamour et lyrique semble promis au spectateur. Il semble que ce soit à rebours de tous ces archétypes que Serge Bozon construit son film, qui commence par faire du protagoniste masculin un amant abandonné ne pouvant se remettre de sa rupture. En écho au Men d’Alex Garland, le voici entouré de personnages tous incarné par une seule personne, écho d’obsessions déformant la réalité, et de l’incapacité à se défaire de l’être aimé.


Le lien avec la pièce de théâtre explique lui aussi la singularité du dispositif : le protagoniste est un acteur qui monte la pièce de Molière et ne trouve pas la bonne partenaire pour incarner Elvire : tout est systématiquement mis à distance, commenté, notamment par une metteuse en scène qui limite ses indications à des gestes, comme impuissante à verbaliser les émotions que les comédiens devraient trouver dans leurs tripes. On disserte jusque dans le cadre scolaire sur les personnages, tandis qu’une nouvelle incarnation de l’amour brisé surgit pour faire brûler les planches et les cœurs. Il en ira de même pour les segments de comédie musicale, d’un amateurisme fragile et très probablement assumé. Le lyrisme est bref, les chansons tiennent davantage du surgissement que de la performance, et mettent en mélodie des regrets et des questionnements. L’arrivée d’Alain Chamfort, en figure de la statue du Commandeur, infuse néanmoins une musicalité plus établie et profonde, et creuse une gravité au bord de laquelle semblaient danser les autres jusqu’alors.


Mais au-delà de ces motifs, c’est bien sa mise en scène que Serge Bozon s’impose. La netteté de son image, la précision acérée de ses cadres place ses personnages comme les pions d’une intrigue déjà connue, déjà jouée et vouée à se répéter. Ainsi de ce regard échangé avec une inconnue, motif silencieux du désir de conquête, qui ponctue par trois fois le récit, et de la manière dont les surcadrages et la profondeur de champ viennent faire cohabiter les élans du cœur, le questionnement existentiel et la menace tragique.


Cérébral, singulier, ce Don Juan exploite les sentiments comme une matière devenue presque secondaire : la lucidité des personnages, soutenue par le surplomb méticuleux du cinéaste, les rend mélancoliques face à l’éternelle répétition des élans, des erreurs et de la perte, sans pour autant renoncer à les vivre et les incarner pour les autres.

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le 24 mai 2022

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