Dans un regard, l'essentiel

Le regard de Laurent en direction d'une passante, depuis le balcon de la mairie où il attend Julie pour leur mariage. C'est le regard de trop, le premier d'une longe série, égrenés par ci par là, qui fera fuir Julie. Elle disparaît, mais ses traits réapparaissent sur les visages de nombreuses femmes que croise Laurent. En rousse, en brune, à lunettes, à un évènement, à un bar, en professeur de français. La "vraie" Julie revient pour donner la réplique à Don Juan et incarner le personnage de Elvire dans la comédie de Molière, femme trompée par celui qu'elle aimait, découvrant trop tard le vrai visage de celui-ci.

Don Juan est un film d'une grande poésie, poésie mise en musique et déclamée en vers. En faisant de Julie et Laurent deux comédiens répétant la pièce de Don Juan, le film propose une double clé de lecture possible: d'une part la mise en abyme de l'histoire du couple, avec une Julie-Elvire et un Laurent-Don Juan; d'autre part une réflexion sur la figure du comédien, égocentrisme et suivant des logiques de séduction qui sont par nature en opération quand nous regardons ce film.

Aux côtés du théâtre, la musique joue un rôle central dans l'expression des sentiments: les chansons qui ponctuent le récit facilient le propos et l'intrigue. L'accompagnement au piano et les voix originales, celles de Virginie Efira, de Tahar Rahim et d'Alain Chamfort participent à la fragilité subtile du film. Don Juan touche par sa simplicité, qui donne une densité au propos, au décor (notamment le lieu épuré et naturel du théâtre de l'Archipel à Granville). Ainsi, il n'y a quasiment que trois personnages principaux: Julie, Laurent et un homme sans nom, représentant la figure du père. Sa présence accentue l'absence physique mais bien palpable d'un autre père, celui de Julie, sorte de Don Juan paternel.

Le réalisateur Serge Bozon dans l'émission Par les Temps qui Courent (France Culture), rappelle l'essence du scénario du film: le regard d'un homme sur les femmes. Avec ça tout serait dit. Le regard que Laurent porte sur les femmes, un regard objet de multiples interprétations. Est-ce le regard du comédien égocentrique, le regard du comédien qui joue, le regard de Laurent-Don Juan, le regard de Laurent rêveur, le regard de Laurent-Don Juan éternel volage.

Joué par Tahar Rahim, la figure de Laurent se pare d'une douceur contre nature à Don Juan. Le jeu de l'acteur, dans la séduction naïve voire bienveillante, rend le verdict moins aisé. Il nous rendrait Don Juan presque sympathique car poétique... Musical, épuré, poétique, littéraire, Don Juan nous rappelle que les non-dits (mais pas les non-chantés) sont aussi essentiels.