Il n'a pas fallu grand chose pour que Don't breathe devienne un petit phénomène : un succès estival au box-office américain où le film a écrasé Suicide Squad, une rumeur dithyrambique annonçant "le meilleur thriller d'horreur de ces vingt dernières années" (!), et un schéma de home invasion inversé sur lequel Fede Alvarez et son producteur Sam Raimi ont construit astucieusement leur petit coup commercial. Sorti le 5 octobre dernier, le film a reçu des avis très favorables sur les blogs et les sites dédiés au cinéma de genre – et il a déjà fait 125 000 entrées en une semaine.
Mais le cinéma de genre en sort-il grandi ?
Comme d'autres films de genre de cette année (10 Cloverfield Lane, The Shallows), Don't breathe déploie son action autour d'une situation bloquée : trois petits cambrioleurs entrent dans la maison d'un aveugle pour lui voler une somme importante d'argent, mais l'aveugle est un vétéran de la Guerre du Golfe qui va repartir en guerre chez lui et traquer les intrus à l'aide de son chien – un Rottweiler dressé pour tuer, à côté duquel le Cujo de Stephen King fait presque pâle figure. Rien de bien original dans cette façon d'inverser les rôles de bourreau et de victime, ce schéma est déjà celui de la seconde partie de La Dernière maison sur la gauche (Craven, 1972). Il faut admettre cependant que le retournement de situation fonctionne assez bien, au moins au début : lorsque l'aveugle tue le premier des trois cambrioleurs sous les yeux de sa copine Rocky (Jane Levy), celle-ci retient longuement sa respiration, s'interdit de crier. On a alors l'impression d'entrevoir un film potentiellement très bon, qui ne serait qu'une affaire de souffle retenu dans le noir. Mais un tel projet exigeait un tout autre travail d'écriture et de mise en scène, et c'était sans doute trop demander à Fede Alvarez, qui se contente de raconter une partie de cache-cache dans une maison. Le jeu, il faut le souligner, est pris très au sérieux : on ne trouve pas une seule note d'humour dans Don't breathe, même lorsque le film bascule dans le grotesque horrifique au moment où Rocky comprend qu'elle n'est pas seulement la captive de l'aveugle, mais aussi potentiellement sa femme. Ce tournant vers le torture porn est tellement mal négocié que le film revient aussitôt à sa nature première de petit thriller, jusqu'à un épilogue classique, où Rocky assume pleinement le rôle de la final girl.
Plus le film avance, moins il surprend : le coup du home invasion inversé séduit un instant, avant que le film ne déplie son petit programme de survival en huis-clos. Don't breathe est de ce point de vue un jeu de survie typiquement contemporain, un Hunger games pour les pauvres, ancré symboliquement à Detroit. Le personnage de Rocky a typiquement le profil des guerrières que l'on trouve dans les films de divertissement dystopiques, elle est déterminée, n'a aucun cas de conscience, elle joue pour gagner. Et sa ténacité est récompensée : après la mort de son deuxième coéquipier, elle quitte la maison de l'aveugle en empochant l'argent volé (300 000 dollars) et la dernière scène du film la montre dans un aéroport avec sa fille, au seuil d'une vie nouvelle. Qu'elle quitte Detroit n'est évidemment pas anodin, la ville étant devenue depuis quelques années la capitale de la ruine industrielle, au point de nourrir, dans le cinéma américain contemporain, un tourisme du spleen. « Everbody has left », constatait mélancoliquement Tilda Swinton dans Only lovers left alive (Jarmusch, 2014) après une longue promenade romantique au milieu des ruines. Dans *Don't breath*e, on ne voit presque rien de la ville, mais la maison de l'aveugle en donne une image sinistre, qui justifie la logique de survie de Rocky et la moralité du film : les pauvres se volent entre eux. Difficile d'attaquer le film sur ce point, le cinéma de genre étant rarement soucieux de moralité, mais difficile aussi de faire comme si Rocky n'avait pas les mains un peu sales en sortant de la maison. Toujours soucieux d'efficacité, le film finit par dresser, sans même s'en apercevoir (ou en faisant semblant de ne pas s'en apercevoir), le portrait d'une survivante qui a dépouillé un paria, le pactole volé à l'aveugle représentant une pension reçue suite à la mort accidentelle de sa fille. Rocky fait donc symboliquement le deuil d'un deuil – et cela valait sans doute mieux qu'une simple partie de cache-cache dans une maison. Mais le pensée du film s'arrête là. Et c'est sans doute la raison pour laquelle Don't breathe ne laisse finalement aucune trace durable : l'horreur de la fable qu'il raconte lui échappe. Petit phénomène donc, et petit film.
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