Orson Welles adapte, met en scène et interprète Dossier Secret, à l'origine un roman de Raymond Chandler, où il nous fait suivre Guy Van Stratten, un aventurier sans scrupules courtisant la fille d'un très riche et puissant homme d'affaires qui va se faire engager par ce dernier pour qu'il enquête sur un passé qu'il a oublié...
En 1955, Orson Welles en est déjà à son huitième film et a quitté Hollywood depuis quelques années, malheureusement victime du Maccartysme et de divers problèmes avec les grands studios hollywoodien. Avec Dossier Secret, tourné en partie en France, il rentre assez vite dans le vif du sujet et met peu à peu en place son intrigue en présentant d'abord cet aventurier puis doucement il fait son apparition dans le rôle du riche homme d'affaires, très protecteur envers sa fille qu'il espionne régulièrement. Tout le long ambigus, les personnages sont fort intéressants, que ce soit le trio principal ou la galerie de portraits qu'il dresse à côté, allant d'un dompteur de puces à une organisatrice de traite des blanches.
Welles use ici du même procédé que pour Citizen Kane, on revient sur le passé d'un mystérieux homme d'affaires où il va énormément user de divers flash-back, permettant de peu à peu découvrir ce qui se cache derrière les personnages et enjeux. La construction du récit est assez remarquable, permettant de nous y immerger avec brio et de se demander où est la vérité. Le metteur en scène de La Soif du Mal met en place une atmosphère mystérieuse, sombre et fascinante, notamment grâce à son personnage à la posture et voix terrifiante, et faisant ressentir cet effet-là à ceux qui se trouvent en face de lui.
Derrière la caméra, Welles montre une fois de plus tout son talent et fait preuve d'une réelle maîtrise et audace. Son montage est ingénieux et il alterne divers gros plans savamment pensés et géniaux, notamment ceux sur Mr Arkadin, ne le rendant que plus imposant, ce qui justifie souvent ses choix d'angles. Et puis, comme à son habitude et loin du sur-jeu par moments énervants dont il fera parfois preuve lors de la suite de sa carrière, il est aussi excellent devant la caméra. Il livre une prestation totalement hallucinante, écrasant tout sur son passage et notamment Robert Arden qui joue Guy Van Stratten. Paola Mori, qu'il rencontre sur le tournage et qui sera sa future femme, est impeccable dans le rôle de la fille du richissime homme d'affaires.
Loin d'Hollywood Orson Welles montre qu'il n'a pas encore perdu la main et se montre brillant derrière et devant la caméra pour nous livrer un savant et fascinant mélange des genres, allant du drame au film noir.