Le déroulement de la justice semble posséder naturellement tous les ingrédients qui font de grands films : rebondissements, mystère, fortes personnalités ou encore jeu du mensonge et de la vérité. Lorsqu’on ajoute un réalisateur de la qualité de Sydney Lumet et un acteur tel qu’Henri Fonda en chef de chœur, on découvre l’une des meilleures leçons de "cinéma à huis clos".

L’exercice n’était pourtant pas simple et comportait une grande part de risque malgré de vrais atouts, car intéresser pendant une heure et demie le spectateur au délibéré d’un jury enfermé dans une salle peut faire fuir à toute jambe, c’est sans compter sur la réputation qui précède le film. L’intrigue est pourtant très simple, un jeune homme est accusé d’avoir assassiné son père, nous arrivons à la fin du procès lorsque le jury, composé de douze hommes, se retire pour délibérer. Tous s’installent autour de la table et commencent par un premier vote pour savoir s’ils ne seraient pas déjà unanimes pour déclarer le garçon coupable et l’envoyer à la mort. Les doutes de l’un d’entre eux, qui doivent profiter à l’accuser, vont compliquer les choses et les pousser malgré eux à remettre en question toutes les « belles » convictions qu’ils se sont forgées.

Douze Hommes En Colère est un film formellement imparable et d’une efficacité redoutable, preuve s’il en fallait, qu’aligner les scènes d’actions à grand renfort de billets verts n’est pas nécessaire pour rendre un film haletant. Le meilleur exemple du sens du rythme de Sidney Lumet, ce sont ces votes qui reviennent à intervalle régulier pour décider du sort du jeune et qui font monter pendant quelques minutes la tension du spectateur. On pense aussi à ce changement de rapport de force entre les douze hommes, qui bascule peu à peu, subtilement et parfois de manière inattendue mais toujours par la force des convictions car au fond, c’est à une heure trente de joute verbale que nous invite Sidney Lumet.

Sur le fond, sur l’échanges des idées, des arguments, des convictions et des doutes, le film est tout simplement prodigieux, tellement qu’il est impossible d’en faire le tour sans en oublier. Une des questions de fond est celle de la peine de mort et du cas de conscience de l’erreur judiciaire qui, lorsque la mort est choisie, n’offre pas de retour en arrière après l’exécution de la peine. Mais le thème le plus fort que Lumet traite dans on film est sans doute celui de la frontière, parfois ténue, entre la justice et la vengeance. Certains des jurés se comportent en effet comme s’ils étaient intimement concernés par le procès qu’ils sont censés juger, c’est là que dans leur tête se fait la confusion entre justice et vengeance, c’est là que leur jugement s’obscurcit et que les émotions l’emportent sur la raison.

Ce message de la raison face à l’émotion est porté par un Henry Fonda dont on ne sait plus quoi dire d’original tant la perfection de cette acteur a été vantée depuis des décennies, tant les adjectifs pouvant s’adapter au génie de son jeu ont déjà été utilisés des centaines de fois, il était l’acteur parfait, rien de moins. Même s’il domine les autres, il faut souligner l’intelligence de Lumet qui a tenté, à travers ces douze jurés, de faire un petit inventaire de la société américaine par un panel plutôt équilibré de ses catégories socio-professionnelles. On retrouve des vieux, des moins vieux, des ouvriers, des cadres, un publicitaire bref, des électrons libres de leurs convictions qui finissent par venir se percuter et mettre à mal la belle harmonie initiale.

Douze Hommes En Colère vient confirmer avec Le Procès, J.F.K. et tant d’autres films, que la justice et les notions qui l’entourent sont un sujet absolument passionnant surtout quand, comme le fait Sidney Lumet, on vient y ajouter une foule de questions philosophiques et de société. Penser, réfléchir ou raisonner n’aura jamais été un exercice aussi simple et prenant car, même si ce film est un vrai suspens avec une fin pas si simple à voir venir, il est impossible de ne pas remettre en cause notre vision de la justice, de la mort et de la vie en communauté, chose rare aujourd’hui…

Créée

le 20 juin 2013

Critique lue 2.8K fois

75 j'aime

14 commentaires

Jambalaya

Écrit par

Critique lue 2.8K fois

75
14

D'autres avis sur Douze Hommes en colère

Douze Hommes en colère
socrate
9

Il n’y a pas de doute valable, la justice, c’est Fonda mental !

Rendons à César ce qui appartient à César : c’est Fonda le coupable du crime. Comment comprendre qu’il soit seul à estimer le jeune potentiellement non-coupable, alors que tout le désigne ? La raison...

le 18 mai 2013

331 j'aime

45

Douze Hommes en colère
Gand-Alf
10

Un coupable idéal.

Nom d'une galette au beurre, c'est-y que je viens d'arriver à ma millième critique ! Par Imogène, je me dois de marquer le coup, en m'attardant sur un classique indétrônable du cinéma, un film de...

le 12 nov. 2013

274 j'aime

24

Douze Hommes en colère
Grard-Rocher
9

Critique de Douze Hommes en colère par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Dans les années cinquante aux Etats-Unis, la cour d'un tribunal doit rendre son verdict à l'encontre d'un tout jeune homme accusé d'avoir tué de sang-froid son père. Les douze jurés vont délibérer...

184 j'aime

59

Du même critique

Le Monde de Charlie
Jambalaya
10

Charlie's Angel

Voici une œuvre miraculeuse, d’une justesse dans les sentiments et les émotions adolescentes qui m’a ramené vingt-cinq ans en arrière. A cette époque, se trouver une identité revenait à les essayer...

le 5 janv. 2014

155 j'aime

26

The Truman Show
Jambalaya
9

Quand la vie de Truman capote...

The Truman Show, un film touché par la grâce, de son réalisateur Peter Weir d'abord, qui a rarement été autant au sommet de son talent depuis, de Jim Carrey ensuite, qui a fait taire avec ce film,...

le 10 déc. 2013

155 j'aime

17

True Detective
Jambalaya
9

Les Enfants Du Marais

True Detective est un générique, probablement le plus stupéfiant qu’il m’a été donné d’admirer. Stupéfiant par les images qu’il égraine patiemment, images d’une beauté graphique rare, images sombres...

le 12 mars 2014

153 j'aime

15