Il m'arrive souvent de tomber dans de très heureuses coïncidences chronologiques, qui me font apporter des jugements que je n'aurais peut-être pas pu apportés si ces coïncidences n'avaient pas eu lieu. Dans le cadre du cycle Jarmusch de la Cinémathèque de Toulouse, j'ai déjà été voir Only Lovers Left Alive mardi dernier. Oui je sais, je commence un réalisateur par son dernier film. Mais maintenant que j'ai vu Down by Law, je ne le regrette pas, car en trente ans de carrière, Jarmusch reste très solide ! Je m'explique.
Down By Law, c'est le récit de trois criminels qui ne sont pas jugés pour cela. Certes, ils se trouvent en prison. Mais le scénario n'en tient que peu de rigueur, puisqu'on ne cherche pas à montrer ce qu'ils ont de mauvais entre eux, ni même à dégager une espèce de morale quelle qu'elle soit. C'est seulement le récit de trois hommes, qui avancent dans leur vie. Tandis que Zack gagne son fric de manière opportuniste, Jack le fait dans une petite entreprise proxénète qui paraîtrait presque légitime. Ces deux outlaws rencontrent alors Roberto, qui lui est le véritable assassin, puisqu'il ne se réclame jamais innocent.
Quand je dis outlaws, je le dis "on purpose". Et c'est là que j'ai aimé faire le rapprochement avec Only Lovers : ces personnages sont désespérément seuls au monde. Il n'existe qu'eux trois (jusqu'à Nicoletta, qui va diviser immédiatement le trio). La naïveté touchante de Roberto apporte des touches comiques très appréciables, là où l'évanescence de Zack équilibre la rigueur de Jack. Des personnages hautement complémentaires, qui ne pourraient que former le trio parfait des personnalités. Si bien que leur cavale prend des airs de voyage initiatique au coeur d'une affirmation de leur personnalité. Mais celles-ci n'ont pas pour autant changé : ce film se termine comme il commence, à la différence que Roberto ne vagabonde plus à la Nouvelle-Orléans, mais avec Nicoletta. Une intrigue finalement assez complexe, qui n'a peut-être pas ce mérite de focaliser l'intérêt du spectateur.
En effet, c'est davantage la qualité esthétique du film qu'on peut retenir : le noir et blanc est vraiment très puissant, renforcé par un jeu de lumières époustouflant (la scène des égouts sous la prison est quasi-onirique !), des plans de perspective entre deux personnages très solides, une bande originale très soignée... Et les acteurs sont présents ! Benigni est succulent, Tom Waits m'a un peu plus dérangé, j'ai toujours l'impression qu'il surjoue... Tandis que John Lurie est vraiment grandiose dans ce rôle de perche stoïque et en même temps ambitieuse.
C'est un huis-clos que ce film, bien qu'il se déroule dans un monde à ciel ouvert. Mais il y a une solitude qui émane de cette cavale et de ces personnages, qui ne se résorbent que dans le rire de Roberto. Un passage d'une vie, et des routes qui se séparent.