Marre de nager dans le mensonge, j'enfile mes shoes et je file, direction : New Orleans. Je viens danser un peu cajun, fumer vaudou, respirer les épices douces, qui s'enroulent à mes larmes, et les légendes m'envoler.
Dans le bayou, devenir fou. Chasser l'alligator à mains nues, l'appâter avec ma bistouquette. En choisir un qui s'appelle Ali et qui serait un peu gâteux. Pas risquer mes bijoux de famille pour ma future paire de bottes. Le choper alors qu'il jouait le tronc d'arbre, entre deux eaux, le mordre à pleines dents. Constater sa surprise, sa stupeur. Regarder dans son œil lorsque la vie quitte sa carcasse, le dépecer de mes ongles rongés sans autre forme de procès.
Dévorer sa chair sous la pluie noire. Hurler comme un animal.
Revenir à la vie, revenir à la ville. M'enfiler ma dose de gazoline pour effacer le flou, en intraveineuse, laisser le flux, la pulsation, remonter le long de mes veines bleues. Le regard enfin clair, l'estomac repu, immobile, rester à l'affût.
Capturer les effluves, les sons qui ricochent, les langues qui claquent, n'être qu'un atome dans le tumulte.
Embrasser ce fleuve indécent, y étancher ma soif. M'y baigner nu. Devenir transparent.
Attraper un chapeau, un banjo, me poser dans la rue, ni vu ni connu. Claquer les cordes pour que ça chante, que les volutes de notes charment jusqu'à ce démon tapis dans l'ombre. Il attend que je finisse ma chanson. Baiser la main de Lucifer et l'envoyer se faire foutre. Être punis, 1000 ans dans la peau de l'esclave, champs de coton et le fouet qui claque comme mon banjo sur mon dos.
Chaînes rouillées scellées à mes chevilles, collier de fer, je m'essouffle à courir dans les marais. S'ils mettent leurs sales mains sur ma peau noire, je ne ferais pas long feu. Ou alors, peut-être sur une croix de flammes.
J'entends leurs chiens, ça sent le sapin.
Faudrait que je me transforme en nénuphar ou mieux, en un truc qui vole, un corbeau. Comme ça, au détour d'un battement d'ailes, je pourrai leur déposer une pêche dessus.
J'aimerais bien être un bout de bois, un truc comme un harmonica, pour faire de la musique. C'est mieux que des mots sur des murs.
Se saper Milord et aller succuler une soupe, un gumbo, chez Marie Laveau. Les gris-gris, les masques en rade, jacter créole comme un Haïtien, français comme un Congolais. Finir en transes, humide jusqu'au slip, les bras au ciel ou à quatre pattes.
Dessiner sur le sol en terre battue les contours d'une bête à sabots, avec des cornes. Jusqu'à ce que l'esquisse ne se mette à danser, ne pas prendre peur.
Dès lors, prendre sur soi et faire ce qu'on sait faire de mieux : fuir.
Pouce, faire une pause.
S'asseoir sur un caillou un moment, reprendre son souffle. Dans un frisson convulsif, préposé es flippititude, jeter un coup d'oeil nerveux par-dessus mon épaule, voir si les fantômes me lâchent enfin les castagnettes.
Constater un peu amer que tout le monde s'en contre-branle. J'ai un grain.
Jurer d'arrêter le bédo.
Puis oublier.