Todd mon amour.
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Dragonfly Eyes, du plasticien chinois Xu Bing, est l’un des objets filmiques les plus étonnants des années passées. Cet « Œil céleste », celui qui voit tout, c'est, métonymiquement, le grand réseau de 28.000 caméras de surveillance chinoises du programme Dragonfly, clignant leurs imparables paupières télématiques 100.000 par seconde pour scruter tout de tous et de tout.
En libre accès, cet agrégat d’images de vidéo surveillance drastiquement composites – tantôt comiques, tantôt tragiques, et parfois spectaculaires – sert d’amorce à Xu Bing pour y raconter de toute pièce une histoire fragmentaire et spéculative, parlant de réalité(s), par leur écrin même artificielles, de transformation(s) et peut-être même de métamorphoses. Le fait que « l’histoire » débute dans un temple bouddhique n’est probablement pas étranger à cette lecture transmutante en filigrane, où les possibles personnages changent et s’interchangent – un pour tous mais tous un sous l’œil inexorable du « Grand Frère » - jusqu’à la fission même de l’idée d’identité.
Foncièrement expérimental, ce protocole inédit et casse gueule s’avère passionnant à bien des égards. De cette froide omniscience qui sonde les battements infinitésimaux de cet étrange écosystème unifié et uniforme – indolente face aux catastrophes, insensible aux mouvements sentimentaux – se pose la question du point de vue, ici singulièrement inédit. Cette Caméra toute-puissante, observateur extradiégétique informe et neutre de cet absurde vaudeville high-tech, qui est-elle vraiment ? Est-ce nous, du dehors (mais quel dehors ?), ou une forme de divinité dystopique désormais bien concrète qui règne de main de maître sur des formes informes érigées en Peuple? "Les Masses". Celle qui, dans un paradoxe insondable existent et sont sues, tout en n’existant plus du tout et se mêlant les unes aux autres sans distinction, dans l’abolition des genres et des indépendances.
Et quel regard peut-on, doit-on y porter ? Là où le film, dans son intime quiddité, s’en suspend, montre beaucoup mais ne dit finalement rien. Ne serait-pas pas là même le miroir aux alouettes des prairies 2.0 où chaque persona virtuelle cristallise une infinité d’histoires et de possibles, maquillés, déformés, oblitérés à outrance dans le grand vortex – à la fois brûlant et glacial des nouvelles perspectives d’existence ultra connectée ?
Œuvre hautement conceptuelle, grand collage hybride et hallucinatoire mêlant pelle-mêle grand ordre et désordre, espionnage de masse, flux palingénésiques et questionnements endogènes, Dragonfly Eyes fait penser à ces œuvres d’art crées par les intelligences artificielles, baignées d’une vague inquiétude tangente, à la fois sourdement cohérentes et maladives.
Radical pour sûr – mais pas aussi difficile d’accès qu’il peut sembler l'être, ce film – objet plastique et synthétique – prouve peut-être que, déjà, le Big Data même peut s’infiltrer dans ce qu’on pourrait croire être une activité absolument humaine – le cinéma – mais jusqu’à quand ?
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Créée
le 15 nov. 2020
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