Attention spoilers
Alors que Harold s'apprête à accomplir sa destinée d'héritier viking pour enfin faire partie de cette société qui l'entoure en tuant son premier dragon, John Powell, musicien engagé pour magnifier le film de son art, sort de son rôle de sous-ligneur d'émotion pour prendre les rênes de la narration : le couteau tueur de dragon se lève, avec lui la destinée viking du héros, et également le thème musical des guerriers nordiques qui se fait alors sombre et effrayant. Mais les regards se croisent, et c'est bien le thème des dragons qui finira la partition. La transformation du héros est accomplie, mais pas celle qu'il attendait : malgré son anthropomorphisme poussé, Harold n'est pas un viking, mais bien un dragon.
Il s'agira là d'un des éléments permettant à Dragons de se démarquer de sa compétition. Alors que Disney, et même Pixar lorsque il s'égare en Ecosse, aiment à utiliser les conflits familiaux en demandant aux figures paternels de forcer leur progéniture à suivre leurs traces, Dean DeBlois et ses scénaristes inversent la situation : Harold ne demande qu'à suivre ces traces, en faisant partie intégrante du village et de son fonctionnement. Si les personnages habituels du film d'aventure familial cherchent avant tout à savoir qui ils sont en s'éloignant de l'influence paternelle, Harold doit d'abord passer par savoir qui il n'est pas en essayant de devenir ce que son père voudrait pour lui, avant de se lancer dans sa véritable quête d'identité dans le deuxième volet de la trilogie. La logique de ce conflit émotionnel parait pourtant évident : un adolescent cherche avant tout à être reconnu par ses proches en prouvant sa valeur en tant qu'individu.
Seul problème, Harold ne possède aucune des qualités qui feraient de lui un bon viking. En lieu et place de la force, du courage et de la bravoure qu'il aurait pourtant aisément pu hériter de son père, ses caractéristiques premières seront l'inventivité, la curiosité et l'empathie (malgré les quolibets répétés de son entourage, il n'émettra aucun jugement sur ces personnes). Solution au problème : ce seront ces caractéristiques qui le sauveront de son futur peu reluisant.
Preuve de l'écriture sans faille du film, dans chacun des trois actes, chacune de ces qualités lui permettront de franchir une étape dans l'accomplissement du récit.
- Son inventivité d'abord, lui permettra non seulement de mettre à terre la Furie Nocturne (par son mécanisme d'arbalète), mais également dans un second temps de la monter (construction de la selle et de l'aileron en toile), et enfin d'abattre le boss final du film (avant tout battu par la ruse des ailes trouées).
- Sa curiosité ensuite, qui l'amènera d'abord à retourner sur les lieux de son crime (amenant ainsi à la rencontre des deux protagonistes), puis à s'intéresser au fonctionnement d'un dragon (tout le montage alterné entre l'initiation avec Krokmou et l'entrainement avec les autres apprentis vikings), et enfin à découvrir le nid des dragons (en s'aventurant plus loin que d'habitude).
- Son empathie enfin, lui empêchant d'accomplir l'acte irréversible de tuer le dragon pourtant à sa merci (scène impliquant l'impossibilité pour Harold de devenir le viking qu'il souhaitait être), puis lui permettant d'établir une connexion avec ce dernier (jusqu'à devenir un ami), et enfin lui suppliant de retourner au nid pour secourir ses proches (acte qui permettra à ces derniers d'avoir l'ouverture d'esprit nécessaire pour comprendre le point de vue de notre héros).
Plutôt que de vaincre un mal suprême (ce chapitre sera pour le deuxième volet), l'enjeu est donc avant tout de trouver sa place dans ce monde. C'est l'une des influences du monde du maître Miyazaki que l'on retrouve dans le film (la plus visible étant l'obsession pour le vol). À l'image d'Ashitaka (Princesse Mononoke), Harold sera de cet entre-deux mondes, celui qui fait à la fois partie de l'industrialisation humaine, et de la nature des dragons. Film de grand studio oblige, la fin se fera plus satisfaisante pour le spectateur que celle du chef d'oeuvre du japonais : ici, tous les vikings entreront en pleine communion avec cette nature, sans avoir à renier leurs racines.
Là où les deux films se rejoignent, c'est plutôt sur l'utilité de cette communion avec la nature. Lors du premier réel contact des regards des deux protagonistes principaux, la musique fera résonner de façon quasi-mystique le thème des dragons. Cette communion est présentée comme une expérience essentielle à la mort du conflit, non seulement extérieur représenté très littéralement par l'affrontement entre dragons et vikings, mais également intérieur démontré par les enjeux du héros. Le rapprochement à la nature est ici une façon de se débarrasser de la haine qui ronge le monde, et le deuxième volet de la saga Dragons se penchera sur le conflit intérieur qui surgit lorsque l'on se confronte à une haine qui ne peut plus être effacée.
En somme, Dean DeBlois suit les traces de Hayao Miyazaki dans son envie de fournir un film grand public, dans le sens noble du terme : un film qui parlera de façon pertinente aux personnes de tous âges. La qualité de l'animation (des paysages à couper le souffle, des décors splendides qui baignent dans une lumière magnifique mettant en valeur les textures à l'illusion parfaite), la mise en scène (très efficace, avec un nombre de plans iconiques impressionnant, sans compter les scènes de vol bluffantes), le sound-design et le character-design (les dragons, évidemment), la musique (magistrale de bout en bout), et le rythme (maîtrisé à la perfection), achèveront de faire de Dragons un des grands divertissements de ce début de décennie.
Dragons 2
Dragons 3