L’intelligence de la saga Dragons aura été de penser la relation qui unit Harold à Krokmou comme un constant jeu de miroir leur permettant de se voir grandir réciproquement tout en apprenant l’un de l’autre. Le deuxième opus s’axait davantage sur l’initiation amoureuse du jeune Harold ; le troisième et dernier volet reproduit cette initiation en la déplaçant depuis un cœur humain vers un cœur animal : la rencontre avec la Furie Éclair témoigne d’emblée de la fin d’un âge et le début d’un autre, annonce de manière proleptique la séparation à venir. Et quelle joie d’observer les déboires amoureux de notre duo adoré ! Il nous suffit d’assister à la parade nuptiale donnée par Krokmou à sa bien-aimée sur la plage pour rire et pleurer, saisis par la simplicité poignante des procédés à l’œuvre. Car le geste artistique de Dean Deblois n’est jamais subordonné au démonstratif : le cinéaste fait naître la réflexion du mouvement-même, comme lorsque l’amoureux envolé laisse pantois notre héros au beau milieu de ses compagnons et que le silence s’installe l’espace de quelques secondes, avant que la vie reprenne son cours.
Dès lors, nous pouvons aisément lire la menace que font planer sur Berk Grimmel le Grave et ses troupes comme la métaphore des assauts sexuels et destructeurs sur Krokmou dont le corps, d’abord imparfait, tend à gagner en puissance, découvre son potentiel caché – ce fameux pouvoir qui lui permet de disparaître dans ses propres flammes, tel l’orgasme sexuel –, se perfectionne enfin avant de quitter le nid familial. Et ce monde caché, énoncé par le titre et repris en leitmotiv par les protagonistes, n’est autre que cette terre inaccessible parce que réservée aux dragons, une terre dont l’histoire ne peut s’écrire que par l’affranchissement et la refondation d’un nouveau chez-soi. Nul hasard, par conséquent, si la grandiloquence de la partition musicale paraît ici mise en sourdine, relayée au second plan : John Powell compose un langoureux chant d’adieu qu’il entrecoupe de reprises épiques de ses thèmes principaux, comme pour signifier musicalement la difficulté éprouvée par les personnages à tourner la page.
Rares auront été les sagas de films d’animation à proposer une telle profondeur sensible à leur récit et aux protagonistes qui l’animent ; et outre le fait qu’elle a réussi à donner vie à un univers foisonnant, cohérent et merveilleusement mis en image, la saga Dragons tient sa plus belle victoire de sa capacité à saisir, derrière la rudesse des mœurs et les écailles de dragons, la fragilité d’un cœur qui bat. Ainsi parlait le père : « Il n’y a rien de plus beau à offrir que l’amour ». Une superbe conclusion.