La fin d’une vie rêvée
Dreaming in Between s’ouvre sur un plan séquence dans lequel Shuhei rend visite à son père grabataire logé en maison de retraite. En inscrivant cette scène dans la durée, Ryutaro Ninomiya fait...
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le 15 août 2023
Dreaming in Between s’ouvre sur un plan séquence dans lequel Shuhei rend visite à son père grabataire logé en maison de retraite. En inscrivant cette scène dans la durée, Ryutaro Ninomiya fait ressortir le temps court de la visite et la monotonie, la répétitivité de ses gestes : il range ses chaussures, offre à manger au personnel, s’assoit à côté de son père, lui dit quelques mots et repart comme il est venu, fantomatiquement. La visite est ici accomplie plus par habitude du devoir social que par véritable tendresse et affection. Malgré tout, dès cette première séquence, Shuhei se questionne. Que va-t-il faire maintenant ? Un dérèglement s’installe dans son quotidien. Par petite touche, nous le voyons sortir de son rôle habituel, gêner ceux qui l’entourent. Son désir de parole, d’honnêteté, devient impossible à contenir.
Ce soudain changement dans son rapport au monde passe par son observation attentive. Le montage s’accroche aux silences, aux réactions, aux regards, tandis que les échanges deviennent presque secondaires. Et c’est sûrement là la principale qualité de Dreaming in Between. Lorsque Shuhei regarde, la caméra s’arrête autant sur ses yeux attentifs que sur l’objet de son attention. Ces plans ne sont alors pas seulement informatifs : « ce personnage voit quelque chose, et voici ce qu’il voit », le plan-regard devient le sujet, appuyant sur l’importance même de l’action du regard attentif.
Mais c’est aussi le regard du spectateur qui devient central. La sobriété de la mise en scène permet de capter le mieux possible cette confrontation avec son réel, par des séries de plans larges ou de champ-contrechamp. Ainsi, la complexité se déploie. Aucune explication psychologisante n’est donnée, la crise est simplement captée dans ses moments de drôlerie ou de gêne, laissant alors la liberté au spectateur d’explorer le cadre et ces tranches de vie.
Le dérèglement qui s’installe peu à peu dans le film n’apparaît alors pas comme une tentative de sortir de la banalité de son quotidien, mais comme une démarche visant à s’y reconnecter en sortant de l’apathie émotionnelle pour se lier plus profondément au monde et à ses habitants. Il ne lui suffit plus d’être vice-proviseur, un mari, un fils, un ami ou un père, et de s’occuper machinalement de ses élèves et de ses différentes relations : il lui faut connecter émotionnellement à ses différents statuts et aux rapports qu’ils impliquent.
Ainsi, comme l’indique le titre, Shuhei a passé sa vie à « rêver entre » : entre sa jeunesse (qu’il présente avec grande nostalgie comme heureuse et insouciante) et sa retraite fraîchement prise. Comme beaucoup, Shuhei a traversé sa vie de travailleur de manière fantomatique, rêvassant à moitié, en spectateur. Il semble à nouveau s’y reconnecter en la regardant d’un œil réveillé.
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le 15 août 2023
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