45 millions de dollars, un second couteau comme tête d'affiche et de l'huile de coude, c'est tout ce qu'il fallait à Pete Travis pour matérialiser sa vision du juge le plus monolithique de l'univers. Et par "tout ce qu'il fallait", il faut comprendre "surtout pas plus". Surtout pas de grosse production, de gros moyens, de grande vocation. Il fallait laisser le bébé pouilleux loin des vampires de la diffusion grand public, sangsues avides qui n'auraient fait qu'une bouchée de l'hémoglobine et de la crasse du film, la remplaçant volontiers par quelques blagues de bon aloi, une backstory émouvante, une romance pailletée et une star sans casque. Une naissance dans l'ombre, loin de la plupart des grands écrans fut le prix à payer pour obtenir la première vraie adaptation des Méga-Cités à l'écran.


Véritable clone de The Raid sorti la même année, Dredd marque sa personnalité dans un monde post-apocalyptique sobre, sans fioritures, mais plausible, ce qui le rend peut-être moins quelconque, moins froid et surtout foutrement plus fun que son cousin indonésien. Pete Travis a la chance d'être restreint dans ses moyens, acculé, devant faire preuve d'astuce pour déployer un univers tangible et prenant. Et il y arrive par une économie de plans savamment distillés tout au long du film, par cette construction en huis-clos et par un jeu sur les couleurs plutôt convaincant tout en se passant des sempiternels excès de néons à outrance. Ce Dredd pose une volonté d'apporter sa touche au vaste royaume des séries B post-apo et y arrive plutôt pas mal.


Alors c’est pas le plus important dans un film mais parlons-en quand même, niveau adaptation, ça y est, on y est hein. L’anti-héros de Wagner et Ezquerra a pris vie sur grand écran. Travis s’est empressé de délester le matériaux d’origine de tous ses excès visuels, de toute son exubérance graphique pour livrer une version plus terne, moins foisonnante mais tout aussi viciée et gangrenée. Son juge perd sa chaîne et son épaulette d’or massif mais garde l’essentiel, son casque, et le film arrive à restituer l’atmosphère de la BD et à livrer ce même personnage principal, laconique voire mutique, surpuissant et ridicule d’inadaptation au monde humain, chancelant à chaque pas hasardé dans le royaume du sensible. Et ce ridicule, essentiel à l’appréciation d’un tel personnage, Pete Travis sait le faire naître de ce qu’est Dredd, à savoir un code pénal blindé qui parle à son flingue, avec une souplesse de fossil et des convictions en kevlar. L’humour naît de cette incarnation d’une loi masquée et impartiale confrontée à son inaliénable condition d’humain, plutôt que d’un attirail de toc risible et de blagues embarrassantes qui furent la seule solution pour adapter une telle oeuvre lors des années 90.


J’adore ce film. C’est un des rares actionners récents que je pourrais regarder plusieurs fois d’affilé. J’adore cet univers poussiéreux et souillé, cette vermine fanfaronnante et ce faux héros tout aussi minable que ce qu’il cherche à enfermer en iso-cube. J’adore ce Dredd soudée à son casque, qui s’exprime davantage par des inclinaisons du chef que par les mots. J’adore cette structure narrative, directe comme une balle perforante filant à son but. Une tension et un rythme parfaitement gérés, un humour naissant d’un ridicule affectueux et maîtrisé, des instants superbement jouissifs, résultats de quelques excellentes idées de mise en scène et d’un personnage principal auquel on s’attache, qui a un nom, qui en impose et fait frémir dans les conapts quand il passe un message d’avertissement (“Ma-Ma is not the law. I am the law.” haha cette scène on s’la repasserait bien 4 ou 5 fois hein ?) avec sa grosse voix rocailleuse. Y a plein de défauts, j’vais pas le nier. Les scènes de combat sont parfois trop brèves, réduisant les menaces ennemies à de simples formalités, le réalisateur abuse parfois d’effets visuels lourdingues comme ses ralentis clipesques à l’extrême, et… et c’est tout, vraiment ce film passe tout seul, semble un petit miracle d’adaptation à chaque minute et fait admirablement bien son job d’actionner bourrin et défoulant.


Karl Urban était un choix avisé, voire évident. Tout comme l’était Stallone d’ailleurs, le rictus acéré et le menton de Ma Dalton, mais faut croire que lui n’a pas endossé l’insigne dans la bonne décennie. Les autres ne sont pas en reste, Olivia Thirlby, épaulée par les jeux de saturation sur sa toison d’or, fait une juge Anderson convaincante, et si ce n’est pas avec ce film que Lena Headey prouvera ses réels talents d’actrice, elle a au moins le mérite de camper une antagoniste ambiguë et glaçante tout à fait dans le ton. Il y a de la sueur, du rouge et de l'ocre, ça suinte et ça gicle au rythme des déflagrations et de cette musique qui embourbe la quasi totalité du film et contribue à cette atmosphère vérolée et barbare et l’ensemble, brutal, violent et complètement fun offre la deuxième meilleure adaptation de Judge Dredd à l’écran après le RoboCop de Verhoeven.

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le 29 juil. 2017

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zombiraptor

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