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Attention, spoilers
Dressé pour tuer, Samuel Fuller l’a été durant la guerre. Entraîné à haïr son ennemi, à l’abattre dès qu’il apparaît dans son champ de vision. Puis l’armistice a été signé, et on lui a demandé, comme à tant d’autres, de revenir à une vie civile, sans bataille ni cible à la violence qu’on lui a inculqué. Si Bertrand Tavernier a fait son Capitaine Conan, Fuller a pris une autre approche, plus universelle car applicable en tant de paix, en utilisant un chien élevé pour bouffer du noir. Une création humaine contre-nature, la haine n’existant pas hors de nos cultures humaines, parfaitement adaptée à une bestiole qui selon l’idée reçue voient le monde en noir et blanc, et seraient donc parfait pour traiter du manichéisme qui hante l’esprit façonné par la xénophobie.
Ce White Dog, créature de Frankenstein quadrupède que l’on a vidée de son innocence, on va essayer de le réparer, en faisant du dressage animalier une éprouvette anthropologique. Mais peut-on seulement supprimer le conditionnement primal de la haine? Une rage que l’on montrera inutile pour son auteur, contre-productive, comme un réflexe défensif du raciste ignare qui s’attaque à ce qu’il ne connaît ou ne comprend pas. Mais les racines du mal sont profondes, et le cinéaste ne veut pas raconter un conte de fées : une fois entraîné à tuer, il n’y a pas de retour possible. Si le cabot hargneux venait à être ébranlé dans ses principes rancis, gavé comme il en a été, il serait déboussolé. Et si la cible de son fiel n’est plus l’homme noir, il y a tant d’autres cibles possibles, aussi aléatoires qu’elles sont autres que lui : les femmes? Les gays? Les pauvres? Qu’importe, il faut bien un exutoire à cette haine. Et si l’on est du côté du chien, pauvre hère perverti par la malfaisance d’un maître infâme, magnifiquement interprété par cinq magnifiques toutous, on sait également qu’il ne peut pas survivre au récit pour que la thèse soit soutenue.
Fuller dote son film d’un sujet fort, adapté (mais largement transformé) du roman du même nom de Romain Gary, tout en y intégrant sa propre expérience de la haine. Là des fours crématoires à la fourrière (le cinéaste a faisait partie de la compagnie qui a libéré le camp de Falkenau, sur lequel il fera un documentaire), ici un chien au passé lourd qui ne veut pas, ne peut pas, regarder They Were Expendable, film de guerre de John Ford. Il en profite également pour balancer un tacle à une justice inefficace : “Same rapist we caught last year”, tout en profitant du sujet pour prophétiser la disparition des animaux dressés au cinéma au profit de la technologie informatique. Nos nerfs sont mis à rudes épreuves, alors qu’un gamin, noir, joue au coin de la rue où se trouve le chien en pleine ratonnade, tandis que la prochaine victime se rend au duel de western les bottes en avant. Et le tout servi par une musique de Morricone qui, sans atteindre les sommets du maître, rend une ambiance particulièrement tendue.
White Dog n’est pas un chef d'œuvre, mais il a un discours fort, servi par une maîtrise technique inattaquable. Et il semble surtout être la représentation du fameux “Thug Life” de Tupac : The Hate U Give Little Infants Fucks Everybody.