C’est par la nuit et le silence que Refn éclate au grand jour, en 2011 : une séquence d’ouverture virtuose qui aura grande part dans son prix de la mise en scène à Cannes, concentre toute sa maîtrise au service d’une ambition nouvelle, et plus simple : se frotter à un genre établi.
Film de braquage, Drive joue sur plusieurs tableaux. Ce n’est pas pour rien que le réalisateur installe son récit à Los Angeles : il s’agit d’interroger une forme fixe, de celle qui a toujours fonctionné, avec la figure solitaire du justicier mystérieux, qui emprunte aux gangsters leurs méthodes les plus brutales pour les mettre au service de la veuve et de l’orphelin. Sur ce canevas que Refn prend le soin de ne pas regarder de haut, vont se greffer les obsessions du réalisateur : dans Pusher, il s’agissait de traiter de la misère morale et sociale ; dans Bronson, de sonder la folie d’un homme face à un système. Ici, d’interroger le lyrisme.
Car Drive est avant tout un mélo qui s’assume, à grand renfort de musique, de ralentis et de sourires. Les rétroviseurs, le jeu de regard silencieux avec l’enfant (You blinked, lui dit le driver avec un sourire), les embardées sur la L.A. River sont autant d’éclaboussures de soleil dans un monde qui, chez Refn, n’en avait jamais connu. Son chauffeur qui partage avec le héros de Valhalla Rising le fait de n’avoir pas de nom est son double contemporain, dans une ville qui contiendrait encore de quoi croire en la civilisation.
Pour une fois, en effet, il ne s’agit pas de survivre (thème obsessionnel chez Refn) dans un milieu mortifère, mais de construire. Bien entendu, les démons restent en place, et la figure des pairs, et surtout des pères, reste cette représentation tragique qui freine et qui exige le sang, thème qui traversait déjà les volets 2 et 3 de Pusher, et qui contaminent le récit d’un gore presque incongru, gratuit et électrisant.
Drive porte au sommet cette cohabitation des contraires, concentrée dans cette apothéose que représente la scène de l’ascenseur : un baiser suspendu et un crâne qu’on fracasse au talon.
Le héros charrie en lui cette malédiction de l’élu : hors-norme, concentrant tous les regards, et condamné à traîner à sa suite le malheur du monde qui l’empêchera de stationner. Comme les grandes figures de Mann, notamment du Solitaire, il connait la ville comme personne, et fait de ses lumières isolées sa constellation privée. Sur ce point, Drive est une splendeur : du générique aux scènes d’action, la gestion du rythme, du montage alliée à la méthode mécanique du jeu Gosling produisent une tension implacable.
C’est sur cet équilibre ténu qui menace à plusieurs reprises de s’effondrer que Drive se construit : entre l’hommage et la distance, entre le premier degré et la relecture, le film trace un sillon qui n’appartient qu’à lui.
D’une femme qui s’excuse par le sourire à une plage nocturne balayée par un phare, (contraste lumineux sur un affrontement qui rappelle le final de Heat), Drive joue sur les contrastes, et sacrifie à l’économie narrative de la table rase pour mieux mettre en valeur ce à quoi on doit dire adieu.
(8.5/10)
Genèse du film, anecdotes de tournages et analyses : https://youtu.be/eeO4yoOz8Jk