Décidément Nicolas Winding Refn n'est jamais là où on l'attend. Après la chronique sociale de petites frappes dans la trilogie Pusher, après l'opéra carcéral avec Bronson, après le trip mystico-viking sur Valhalla Rising on est ici face à une histoire de pilote exceptionnel qui trempe dans des histoires louches et dangereuses. Un nouveau terrain de jeu pour le réalisateur danois qui explore désormais le western urbain.
Car il s'agit bien de cela dans Drive, certains pensaient voir une variation de Fast and Furious ou du Transporteur, ils en seront pour leur frais. Avec ce personnage central anonyme, quasi muet, impassible, sans origine, on est ici face à une relecture des mythes fondateurs du héros américain.
Un héros qui n'en est d'ailleurs pas un, ou plutôt si... en fait non... ah merde ! Bref notre personnage principal est un type avec un code moral, avec ses espoirs et ses actes de bravoures pour rétablir la justice. Il a tous les attraits du héros sauf que c'est un parfait sociopathe. Handicapé social, il parle peu, il est en retrait du monde qui l'entoure mais lorsqu'il doit passer à l'action, il est d'une efficacité peu commune. Il n'hésite pas, tuer ne provoque aucune joie mais aucun regret non plus, il le fait parce que les circonstances l'impose.
Notre héros n'est pas un saint mais ce n'est pas un monstre pour autant. Mais c'est bel et bien un pur anti-héros, une figure héroïque par malentendu.
Devant la caméra Ryan Gosling sen sort très bien, il est dans une sorte de non-jeu déstabilisant restituant finalement bien la carapace que son personnage s'est fabriqué. Mais il arrive à trouver la juste dose de subtilité pour faire exister ce personnage à priori apathique. Au détour de quelques sourires, dans certains regards plus durs que d'autres, dans cette incroyable absence d'humanité dont il fait preuve par moment.
Face à lui Carey Mulligan est mignonne à croquer. La relation qui se tisse lentement, tout en douceur, entre ces deux personnages est vraiment très belle. On trouve aussi le génial Bryan Cranston dans un rôle tout simple, peut-être un peu sous-exploité, mais terriblement attachant et monsieur Ron Perlman, dont le charisme n'est plus à prouver.
Plutôt que de glorifier les élans vengeurs (en sont-ils vraiment ?) la caméra appuie tellement la violence qu'elle reprend son vrai statut : elle est dérangeante.Notre héros n'hésite pas une seule seconde. Un comportement qui finit par rendre notre "Driver" proprement effrayant. Alors même que l'on cherchait la catharsis on nous la refuse en nous remettant face à l'horrible réalité des actes commis, avec insistance. J'ai entendu des rires dans la salle mais c'était des rires jaunes, des rires nerveux, des rires de spectateurs qui ne comprenait pas, qui ne voulait pas être maltraité et qui n'ont que ce rire comme ultime et ridicule recours.
Des spectateurs qui étaient là sur un malentendu, eux aussi.
Drive provoque ce genre de réaction, le film est conçu comme un électrochoc géant qui joue avec les attentes et pulsions des spectateurs. Malin, Winding Refn amorce et désamorce sans arrêt tout un tas de situation pour jouer sur l'attente et la frustration. Le film est volontiers lent, mais jamais chiant, avec de longues phases mutiques et des échanges de regards qui pèsent parfois plus lourd que des centaines de mots. Lorsque la violence survient elle est brève et brutale, comme une décharge de chevrotine à bout portant.
Comme une sorte de film d'action statique et mélancolique qui rappelle un peu le travail de Johnnie To sur The Mission, Exilé, PTU ou sur le diptyque Elections. Drive est un film aussi outrancier qu'il est simple. Drive est donc un pur film de Nicolas Winding Refn. Le réalisateur est d'ailleurs ici en pleine possession de ses moyens avec une lumière splendide, des cadrages parfaits, un montage juste et des idées de mise en scène à la pelle.
On pense notamment à la magnifique et cruelle scène de l'ascenseur, aux balades sans but dans le Los Angeles nocturne et surtout à cette incroyable séquence d'ouverture qui met à l'amende n'importe quelle scène motorisée récente. La caméra ne quitte tout simplement jamais l'habitacle pendant toute la poursuite, au mieux elle s'autorise des plans subjectifs du véhicule. Une idée tout simple mais exploitée à la perfection tant le dynamisme de ce passage est incroyable. Les plans, le montage et surtout le rythme font de cette partie de cache-cache motorisée un grand moment de tension et d'adrénaline. De plus les amateurs de GTA reconnaitront sans doute quelques mécanismes.
Sans jamais se répéter le film enquille les scènes captivantes et parfois voués à devenir cultes.
Loin de l'exercice de style gratuit et pompeux le film joue sur la simplicité des enjeux et des sentiments pour extraire l'émotion et la réflexion. Comme chacun des films de Winding Refn, Drive est un film profondément viscéral, il ne tient pas de discours mais fait naitre le questionnement des réactions qu'il réussit à provoquer.
A ce titre l'utilisation de la bande-son et des bruitages font, là encore, preuve d'une maitrise incroyable. Le titre "Night Call" de Kavinsky va littéralement vous hanter.
Sous les oripeaux de ce qui semble être une banale série B d'action se cache pourtant tout autre chose, un monstre hybride et percutant qui déstabilisera plus d'un spectateur. Un film qui se joue de lui même et qui nous livre un pur concentré de Cinéma jouant sur la rupture, sur l'alternance d'atmosphères. Drive répond autant à William Friedkin, qu'à John Carpenter (si si, vous verrez), qu'à Wong Kar Waï. Un film beau, dur, décalé, mélancolique, hargneux, étrange, lancinant, virtuose, délicat, rentre-dedans, doux... tout cela à la fois. Le genre de film qui vous trotte dans la tête pendant un moment. Quand il y a écrit "Drive" il faut en fait lire "Live".
Comble de l'ironie Drive est un film de commande mais qui ne ressemble pourtant qu'à son auteur. Ce n'est là que le dernier paradoxe merveilleux d'un cinéaste tout simplement génial signant un film à son image : génial.