Je découvre sans surprise que ce film est écrit par Murakami, ce gros lourd misogyne aux histoires nombrilistes qui se glorifie d'enfoncer des portes ouvertes à un niveau toujours plus élevé. Quand bien même il serait en train d'enfoncer les portes du paradis déjà grandes ouvertes il trouverait le moyen de finir en enfer.
Ce film c'est Pig, sans Nicolas Cage, avec une meilleure palette, une bonne dose de branlette, sans cochon et sans rage de vivre ("Rager, s'enrager contre la mort de la lumière" dit Dylan Thomas).
Je ne veux pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Il y a des bonnes choses : le fait qu'on ne sait jamais vraiment ce que les personnages vont dire, que l'acteur principal a énormément de charisme malgré son rôle apathique, que les évènements qui s'enchaînent sont imprévisibles malgré leur lenteur. Pourtant c'était ennuyeux à mourir pour qui ne veut pas décortiquer chaque millimètre carré de chaque plan en s'extasiant sur le symbolisme interposé.
Le problème de ce film réside non pas dans ses dialogues, ni dans son scénario ou sa réalisation, mais bien son message et son sens profond, et c'est pour ça que je fais peser le fardeau de son échec entièrement sur les épaules de Murakami. Dès la première scène, on comprend l'intégralité du film car tout est explicite: pas dans les mots, mais bien dans le symbolisme et le jeu d'acteur, qui sont cristallins. Un homme et une femme sont mariés, ils ont une relation de couple fondée sur un amour réel mais pétri de non-dits et de politesses. Si on se demande brièvement pourquoi ils sont aussi froids, on comprend extrêmement rapidement que suite à la mort de leur enfant ils ne s'en sont jamais vraiment remis.
Ensuite, il y a un battement de 3h où le film part dans des méandres après le décès de la femme, laissant croire qu'il a des choses à dire ou des secrets à déceler. Il se passe une variété de choses qui sont intéressantes mais qui pèchent par leur insupportable lenteur. En particulier, la pièce de théâtre multilingue est d'un ennui et d'une longueur affligeants, et les parallèles dans le texte de la pièce avec la vie du protagoniste particulièrement balourdes. A la révélation finale, le protagoniste débite assez rapidement ce que le public a compris dès les 10 premières minutes du film : il aurait dû parler à sa femme, cette relation polie et silencieuse était malhonnête et maintenant il ne pourra jamais mettre les choses au clair. Ces 3 heures d'attente promettaient pourtant autre chose, quelque chose, n'importe quoi d'autre que cette réalisation initiale qui n'avait à vrai dire même pas besoin d'être soulevée car elle avait déjà été dite.
Me direz-vous : le personnage principal est brisé de l'intérieur et met un temps absurde à se rendre compte d'une évidence, n'est-ce pas le propos du film ? N'est-ce pas légitime de proposer ce portrait d'un homme sans aucune éducation émotionnelle, qui à 47 ans n'a jamais compris qu'il fallait qu'il parle à sa femme comme une personne plutôt que comme une idole silencieuse ?
C'est là la complexité du problème de ce film, et la raison pour laquelle je pense que les quidams (essentiellement des hommes j'en suis persuadée) crient au génie (je mets de côté les aspects techniques et cinématographiques, qui à eux seuls ne suffisent pas à faire un film qui retient mon attention, surtout au bout de 3h). Drive my car ne présente pas cet homme comme un imbécile pathétique ou comme un abruti qui s'est enfermé dans une prison culturelle et émotionelle de sa propre fabrication, mais comme une victime. Tel qu'il est dépeint dans le film, il est mis en scène pour inspirer la pitié.
Si un homme malade du cancer refusait de voir un médecin et mourrait, inspirerait-il la même compassion ? Il y a implicitement dans ce film une tolérance et une acceptation d'un comportement misogyne et émotionnellement attardé, car aller voir un psychologue ça n'a pas de sens dans une société japonaise hyper-rigide je suppose. Typique de Murakami, la femme de l'histoire ne reçoit aucun développement, elle n'est qu'une figure déifiée et mystérieuse qui est innacessible, un objet de regret. (Evidemment ce film ne passe pas le test de Bechdel...! je vois venir ceux qui s'acharneront à dire que le test de Bechdel n'est pas un indicateur de qualité - non c'est sûr, mais c'est bien un indicateur de misogynie.)
Cette figure mystérieuse de la femme, c'est tout le propos du film - et c'est un vieux cliché qui n'a rien à apporter à 50% de la population mondiale, un fantasme mystique constamment ressassé par des vieux hommes d'une autre époque, qui s'en servent pour mettre en lumière leurs propres réflexions et leurs propres douleurs. Murakami est enfermé dans son monde médiéval hyper masculin, où la cigarette est poésie et pas un bâton à cancer, où oublier qu'on pourrait parler à une femme comme à une personne est quelque chose qui peut arriver à n'importe qui, du jour où lendemain, et où dans tout ça, la victime finit quand même par être l'homme. Un incroyable égocentrisme qui atteint de nouveaux sommets.