Sorti en 2021 et réalisé par Ryusuke Hamaguchi, Drive My Car est une œuvre largement saluée par la critique lors de sa sortie en salle et qui en outre, a reçu de nombreuses récompenses et autres nominations lors des cérémonies de fin d'année (Festival de Cannes, Césars, Oscars, Golden Globes, BAFA ...). Et pour cause, Drive My Car est un vrai bon feel-good movie. C'est avec ce film que je découvre les œuvres du réalisateur japonais Ryusuke Hamaguchi et maintenant, je n'ai plus qu'une seule envie, explorer toute sa filmographie. Le film dure prés de trois heures, mais on ne s'ennuie pas une seule minute. C'est un drame captivant et hypnotique, maitrisé de A à Z.
Dans Drive My Car, on va suivre les aventures de Yûsuke Kafuku (Hidetoshi Nishijima) un metteur en scène et acteur de théâtre. On sait peu de choses sur lui, si ce n'est qu'il aime sa femme (Reika Kirishima) elle aussi autrice de théâtre et que tous les deux ont perdu un enfant en bas âge. Toujours est-il que, très tôt dans le film, il va subir un drame personnel qui va beaucoup le marquer et que je ne dévoilerai pas ici (pour ne pas spoiler). Et c'est après une longue introduction de prés de quarante minutes, que le film commence enfin (le générique apparaît à ce moment là). On se retrouve donc deux ans plus tard, avec notre homme qui est invité à Hiroshima pour adapter la pièce de théâtre d'Anton Tchekhov, Oncle Vania, qu'il avait déjà mis en scène en plus d'interpréter le rôle principal. Il va alors faire passer des castings, y compris pour le rôle principal qu'il ne veut plus endosser, pour des raisons propres qui ont à voir avec le drame subit deux ans plus tôt. Les acteurs et actrices vont donc être recrutés de différentes nationalités, puisqu'ils vont être amenés à interpréter leurs personnage avec leurs langues propres (y compris un rôle avec le langage des signes).
Mais voilà, pour des questions d'assurance, les responsables de la pièce imposent à Yûsuke un chauffeur féminin Misaki Watari (Tôko Miura), qui va assurer les long trajets entre le lieu des répétitions et le lieu où il passe ses nuits. Et c'est donc au volant de sa voiture "vintage", une Saab 900 Turbo rouge des années 80, que Yûsuke se fait conduire (d'où le titre du film). Il n’a accepté qu’avec réticence de "lâcher le volant", puisque pour lui conduire c'est un moyen d'apprendre son texte grâce à une cassette que lui avait enregistré son épouse. C'est alors qu'une relation spéciale va naitre entre l'homme blessé et la jeune femme de 23 ans, le même âge qu'aurait eu son enfant s'il était encore en vie. Les deux âmes en peine vont apprendre l'un de l'autre et essayer de tirer le meilleur de cette relation, dont je ne révèlerai pas les teneurs (pour ne pas poiler encore une fois).
A partir d'une histoire apparemment simple, le film brasse un nombre conséquent de thématiques intimes. Et l’émotion prend très vite le dessus sur le récit, plongeant le spectateur dans un univers de sentiments complexes et de questionnements existentiels․ Mais plus que tout, Drive My Car c'est un film sur le deuil, ou plutôt les deuils ...
Pour le protagoniste principal, ce sera le deuil de son enfant bien sûr, mais aussi celui de sa femme qui l'avait trompé avec un jeune acteur, acteur qui postulera deux ans plus tard pour un rôle dans sa pièce et à qui il confiera le rôle difficile de Vania. Et cet acteur, qui est donc l’amant de sa défunte épouse, lui-même essaie d'oublier son passé, puisque c'est une ancienne vedette de série TV qui aurait dérapé dans sa vie privée, aboutissant à son licenciement. Et pour la chauffeuse aussi, on en saura plus sur son vague à l'âme, puisqu'elle aussi essaie de faire son deuil, à savoir la perte de sa mère dans des conditions tragiques.
Et puis le film n'est pas seulement profond, il est beau aussi. Tous les cadres sont ultra léchés, les paysages sont magnifique et puis il y a cette Saab rouge qui semble sortir d'un autre temps. Cette voiture, de marque suédoise, nous ramène aux années 80 et elle possède une symbolique forte. Déjà, une voiture étrangère au japon, qui plus est des années 80 et en parfait état, ça interroge. C'est en soit un personnage à part entière du film, c'est le lieu dans lequel nos deux principaux protagonistes se laissent aller à des confidences (des scènes très fortes). C'est aussi le véhicule qui va les emmener pour un voyage sur la route, dans un road movie qui consiste à laisser derrière eux ce qui n’est plus, pour continuer à vivre. L'évolution de la relation entre le personnage principal et la chauffeuse est vraiment le centre émotionnel du film.
Bref, aussi beau sur le fond que sur la forme, Drive My Car est un film qui, à l'instar du cinéma de Wong Kar-Wai, joue beaucoup sur les silences, les regards et les non-dits, ce qui est suffisamment rare pour être apprécié. Et sans vouloir paraitre élitiste (ce n’est pas du tout le genre de la maison), c'est un vrai film pour cinéphiles, de part sa mise en scène subtile et raffinée, couplée à un scénario riche et profond.