Né en pleine période du cinéma muet, le sérial ou "film à épisodes" était diffusé chaque semaine dans les salles de l'époque en première partie d'une séance. Le genre donnait la part belle à l'aventure, la science-fiction, l'espionnage ou le policier, bien souvent teintés de fantastique.
Relatif à la série B et à une esthétique dite "pulp", le sérial s'est rapidement imposé auprès des classes populaires.
Bien que relativement délaissé à la fin des années 1940 et oublié aujourd'hui, il a marqué toute une génération de cinéphiles et de réalisateurs ( Steven Spielberg ou Quentin Tarantino ) et quantité d’œuvres postérieures ( la saga James Bond ou la BD d'aventures Bob Morane par exemple ).


Drums of Fu Manchu est donc un sérial mis en boîte en 1940 par les spécialistes du genre William Witney et John English. C'est une adaptation d'un personnage créé par Sax Rohmer en 1912. Le docteur Fu Manchu est un génie du mal, une figure tyrannique et mégalomane avide de conquête du monde et de destruction de la civilisation occidentale.
Car oui comme son nom l'indique Fu Manchu est un chinois, parfaite incarnation du "péril jaune" : cette paranoïa de l'homme blanc vis à vis des peuples d'Asie destinés à le surpasser alors omniprésente depuis le début du siècle jusqu'à la Seconde Guerre Mondiale.
Trois éléments sont nécessaires d'après Roland Lacourbe, théoricien du cinéma pour qu'il y ait un bon sérial : Le MacGuffin, le cliffhanger et le whodunit.
Drums of Fu Manchu adopte donc cette structure bien spécifique millimétrée dans son approche. Il faut savoir que du fait de leur mode de diffusion particulier, les sérials étaient rarement suivis dans leur intégralité et surtout dans le bon ordre. Le spectateur ne faisait donc pas nécessairement attention aux mécanismes de narration et de mise en scène qui peuvent sembler redondants ou "faciles" ( la structure des épisodes ou la résolution de certains cliffhangers ) lorsqu'on voit le film d'un bloc. Rien de bien dérangeant cependant et cela donne même du charme aux productions à mon sens.


D'emblée le film donne le ton lors de sa séquence d'ouverture. L'atmosphère est oppressante, la nuit noire et la pluie battante évoquent les plus beaux films noirs sous la caméra très mobile de Witney et English. Un personnage ( Sir Nayland, plus farouche opposant de Fu Manchu ) échappe de justesse à un attentat devant son domicile. On est donc en sécurité nulle part ! Le film exploite parfaitement cette idée de mal omniprésent et lattant qu'incarne le personnage de Fu Manchu. Un musée gardé par la police ? Un fort défendu par des soldats britanniques ? Qu'importe le docteur et son armée de Dacoïts lobotomisés ( littéralement ! ) ne reculent devant rien. Ils ont des yeux et des oreilles partout et usent de stratagèmes surprenants pour mener à bien leur mission.
L'idée de mise en scène la plus brillante à mes yeux concerne ces fameux tambours de Fu Manchu, aux roulements diaboliques et infernaux, qui résonnent et se font de plus en plus bruyants lorsque les personnages sont en danger de mort ( généralement avant le cliffhanger ). L'origine de ces bruits n'est jamais réellement expliquée mais ils sont insérés dans la diégèse et influencent les situations. Cela donne un côté fantastique et mystérieux au film très appréciable.
Celui-ci exploite d'ailleurs savamment nombre d'ingrédients similaires relatifs à la mythologie asiatique mais aussi au mélange des genres que l'on énonçait auparavant. Société ésotérique secrète, temple truffé de pièges... Le tout n'est pas avare en séquences très impressionnantes rondement illustrées par la caméra des deux cinéastes. Le rythme ne faiblit jamais réellement et il n'y a pas de réelle séparation entre scènes dialoguées et scènes d'action tant l'ensemble est dynamique.


"Plus réussi est le méchant, plus réussi sera le film" nous disait Alfred Hitchcock. Cela se vérifie une fois de plus et le docteur Fu Manchu est certainement l'attraction principale de l’œuvre. Il est incarné par le comédien Henry Brandon abonné aux rôles d'antagonistes ( le chef Comanche dans La Prisonnière du désert de Ford pour son rôle le plus célèbre ). Très jeune à l'époque du tournage, il n'intéressait pas du tout l'équipe qui lui laissa sa chance par dépit. Cette dernière fut bluffée lors des essais de Brandon qui s'était maquillé pour l'occasion et on comprend aisément pourquoi ! Il s'approprie parfaitement le personnage et lui donne un aspect terrifiant et impitoyable, détrônant pour beaucoup la prestation de Boris Karloff dans le même rôle.


Agréable surprise que ce Drums of Fu Manchu ! C'est personnellement le premier sérial que j'ai pu visionner en intégralité et dans le bon ordre et l'expérience me donne grandement envie de m'intéresser plus en détail à ce genre cinématographique ô combien généreux.

Zoumion
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le 10 oct. 2017

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