Généralement, sur la route, plus t'es gros, plus t'es con, plus tu t'arroges le droit de faire chier le monde. Les routiers sont la manifestation la plus ultime de cet axiome. Ca fait la moule devant toi et tu t'époumonnes en sortant tout ton répertoire de noms d'oiseaux, le temps que la route se dégage enfin. Une fois l'horizon éclairci, tu le doubles dans un coup de klaxon rageur ou avec force appel de phares, au choix. Et là, miraculeusement, le routier, que tu as maudit sur au moins sept générations d'avoir perdu la quatrième vitesse, il la retrouve et te colle au train. D'ici à ce qu'il pousse le vice jusqu'à te redoubler et refaire la moule devant toi...
Mais les routiers sont sympas à ce qu'il paraît...
Duel, c'est un scénario semblable poussé à l'extrême, une course poursuite implacable et séminale qui tient en haleine sans faiblir, que ce soit sur le bitume ou, plus étonnant, dans un simple relais routier, derrière un sandwich fromage pain de seigle salade. Dennis Weaver n'y est pas étranger. Il joue les apeurés avec une évidence de tous les instants, les yeux inquiets dans le rétroviseur, surveillant le camion fou qui grossit inexorablement, traduisant la menace qui se rapproche.
La performance de l'acteur est d'autant plus à signaler que le rôle est assez ingrat. Il ne vous a pas échappé que le film s'ouvre sur les grands espaces américains parasités par une quelconque émission radio diffusant un dialogue sur la place de l'homme. Rien d'autre pendant plusieurs minutes, sinon des scrupules radiophoniques à cocher ou non, pour cet homme, la case "chef de famille". David Mann (un hasard ?) est le symbole du mâle littéralement émasculé, dès le départ pris pour cible par un routier fou dont le mobile restera pour toujours inconnu. La victime est de plus idéale vu que David ne fera que tenter d'éviter les problèmes, contourner les difficultés, ralentir et faire demi-tour, dans l'espoir de semer un mâle alpha machiavélique de métal, de rouille et de chevaux surpuissants. Jamais il ne fera face à la menace ou règlera ses comptes d'homme à homme. La seule fois où il le fera, dans une certaine paranoïa, il se trompera de cible et se retrouvera dérouillé, KO et honteux.
Il n'est pas non plus interdit de voir dans ce duel la revanche du prolétaire sur le petit cravateux bourgeois frustré, expression d'une nouvelle lutte des classes qui sent l'essence et le pneu brûlé.
En tout cas, Duel, c'est haletant, d'un format idéal de quatre-vingt dix minutes au rythme millimétré et imparable, jouant sur ce qu'on a tous connu un jour ou l'autre (Qui ne s'est jamais retrouvé dans une telle situation, d'un côté ou de l'autre du pare-choc ?) et mettant en scène une menace aveugle omniprésente, d'une puissance diabolique et d'un anonyme glaçant.
Et tout ça, c'est fait par un jeunot ? C'est comment déjà ? Sbielperk ? Hein ? Quoi ? Ah... Spielberg. Bon, faut pas s'enflammer non plus hein... Souvent, c'est un bon film et puis s'en va. Celui-là, ce sera pareil, vous verrez...
Behind_the_Mask, qui a le nez creux.