Quelle curieuse idée en vérité d'opposer, tout à fait artificiellement les deux grands génies du cinéma burlesque. Bien sûr, et le documentaire en fait sa pierre angulaire dans un premier temps, l'un est anglais, explore volontiers l'aspect politique, social et mélodramatique de l'époque, l'autre américain, funambule n'aura de cesse d'affiner la mécanique du comique pur, faisant état d'un sens raffiné du burlesque. Leurs costumes sont différents, identifiables et chaque intervenant (de Kevin Brownlown, historien du cinéma muet à Adèle Van Reeth, la philosophe) mettra en lumière les différences "de méthode" ente les deux hommes lorsqu'il s'agit de mettre en œuvre leur génie.


Cependant, et même si le propos est brillamment illustré par des extraits de films magnifiquement choisis ou des interviews de Joseph Frank Keaton , le film excelle dans l'exact contraire de son propos affiché, à savoir dans la comparaison entre les deux cinéastes. De duel, de rivalité, il n'est plus question lorsque le réalisateur filme les regards étoilés d'enfants hilares devant les métrages de Chaplin ou Keaton. Les "yeux de nos enfants" apparaissent alors comme de magnifiques révélateurs du génie burlesque des deux comiques.


Burlesque sophistiqué, raffinement (on dépasse le stade de la tarte à la crème) élégance, noblesse du sentiment chez Chaplin qui apparait également en victime romantique de la modernisation, mais qui pourtant s’affirme alors qu’il doit protéger les plus démunis (l’orpheline des temps modernes le petit garçon dans le kid).


Certes, Chaplin bien plus que Keaton est le cinéaste de la misère, de la tendresse, le social toujours au cœur de son œuvre. Chez Keaton, (mais nous sommes là dans l’apparent dans l’analyse facile), la démarche parait au premier abord plus individuelle, le burlesque nait de la maladresse d’un personnage contrarié par les éléments déchainés : éléments naturels, (la tempête dans One Week), surnaturels (Malec chez les fantômes), humains (l’insaisissable).


Cependant en dépassant cette première impression un peu trompeuse, en arrachant le masque figé de Joseph (son prénom « civil »), on atteint également l’homme, capable de poser un regard attendri sur la vie. Car toujours, Buster est amoureux, chacune de ses fuites a pour ultime but de retrouver sa bien-aimée ou de s'nvoler avec elle. Dans Fiancées en folie, Keaton débute une fuite incroyable pour échapper à la foule avide des fiancées intéressées par sa fortune, pour retrouver sa promise qu’il ne pensait pas conquérir. Dans One Week encore, c’est la tempête qui fait rage, l’orage qui éclate, mais c’est aussi Buster qui tonne (hum, hum..) et s' évertue à mettre fin à ce tourbillon infernal pour tendrement enlacer sa femme.


Buster, l'amoureux éternel, le funambule déchu, et Charlot, le clochard humaniste, certes milliardaire, mais lui aussi rattrapé par Hollywood l'impitoyable au temps de la chasse aux sorcières ont finalement mille points communs. Ils s'offriront même une ultime danse dans le nostalgique "Les feux de La rampe" pour lequel Chaplin invitera Keaton à partager l'affiche... Parfois les prétendus opposés ne se rejoignent-ils pas ?

Yoshii
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le 19 janv. 2019

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