J'ai entendu dire plusieurs fois qu'on ne pouvait critiquer le film qu'en tant que lui-même. Le cas est particulièrement concerné par le débat : entre le mauvais Lynch et le Jodorowsky avorté, deux auteurs avec une identité très marquée se sont déjà cassé les dents sur le projet. Alors je veux bien aborder le Dune de Villeneuve en oubliant le contexte fantasmagorique dans lequel il est né. Ne le critiquons pas pour ce qu'il n'est pas, mais pour ce qu'il est : une adaptation.
Difficile pour tout lecteur ayant un tant soit eu apprécié le matériau d'origine, de ne pas l'aborder par ce prisme. Surtout quand le réalisateur lui-même assume son ambition de créer le produit le plus fidèle possible à l'oeuvre de Herbert. Comment l'oublier, puisque c'est cette même ambition qui a condamné le film. Mais soit, soyons fous et mettons ces défauts sous le nez de n'importe quel néophyte. Je suis convaincu qu'ils persisteront, même au sein d'une oeuvre perçue indépendamment de ce qu'elle adapte.
Certaines thématiques m'ont touché dans Dune. On trouve premièrement (et tout au long de l'oeuvre de Herbert) une contestation des figures d'autorité. La première partie du Dune de Villeneuve amène un vrai problème à ce niveau là : elle n'adapte qu'un début, qui installe une autorité qu'elle n'a jamais le temps de contester. On se retrouve donc avec un produit américain classique, étendard de l'impérialisme. Dénouer ce noeud politique, c'était pour moi la responsabilité évidente de la deuxième partie. Elle le fait. Mais elle le fait avec une mollesse invraisemblable. C'est à peine si on a le temps de remettre en question l'ascension de Paul, tant le regard jaloux de Chani est insuffisant pour ça. Même les implications religieuses de cette autorité, même l'idolatrie de Paul est effleurée.
La religion en elle même répond à un problème plus grand encore : l'appropriation culturelle dont elle est sujet. Quand j'entends certaines communautés se plaindre de ne pas être assez représentées dans un film qui emprunte tant à leur culture, j'ai du mal à imaginer la moindre rétorque, même prononcée par le premier bas du front venu. Mais allons dans le sens de notre ami neuneu, si tant est qu'il ai dépassé la dernière ponctuation : Herbert, au delà de son discours anti colonialiste (certainement pas parfait mais constamment présent), n'a jamais présenté d'agnosticisme méprisant. Certes non croyant, il réussit dans son oeuvre à dénoncer les machinations religieuses tout en respectant la foi des personnes dont il s'inspire. Du moins, il respecte la foi de ses personnages, et je crois sincèrement que c'est dans ce paradoxe que réside la force de Dune. A plusieurs reprises, j'ai entendu des gens rire dans la salle. A chaque fois, c'était face à un stilgar badaud et à ses élucubrations religieuses. Dommage.
Dans le Dune de Herbert, j'aimais comprendre la fascination des personnages pour leur figure d'autorité, tout en ayant le recul de la critiquer. Dans celui de Villeneuve, on ne comprend pas la fascination et on ne critique rien.
Il y aurait mille autres choses à dire face à un film dont les ellipses laissent imaginer ce qui lui a été arraché au montage. J'ai l'impression que le problème principal réside dans la volonté de son réalisateur à TOUT adapter. Peut être aurait-il fallu faire des choix, plutôt que d'expédier indigestement et sans profondeur TOUT ce qui fait l'essence de l'oeuvre ?
Pourtant j'ai apprécié le film. A l'inverse des critiques que j'ai pu lire ou entendre, je ne me suis pas ennuyé une seconde. Certaines séquences m'ont imprégné et je reverrai le film avec plaisir. Parce que je ne peux pas m'empêcher de vivre la beauté transcendantale qui se dégage de l'oeuvre, malgré ses défauts. Je suis touché de voir Arakis aussi subtilement, d'en faire le personnage principal du film. Même si c'est au détriment de la caractérisation des autres.
Puisse la suite prendre plus de temps pour aimer ses personnages.