Dire que j’attendais ce nouveau long-métrage de Nolan relève de l’euphémisme. Après tout, son dernier film n’est-il pas Interstellar, l’ultime chef-d’œuvre de la SF moderne, point d’orgue (au sens propre comme au figuré) et apothéose d’une courte carrière ponctuée de monstrueux récits, aussi variés que géniaux ? De plus, ce dernier film reste cher à mon cœur de par son statut : il est, depuis le jour de sa sortie cinéma, mon œuvre préférée. Qu’attendre donc de neuf, avec un tel état d’esprit ? Est-il possible de surenchérir, ou vaut-il mieux user de stratagèmes plus subtils pour proposer du neuf, du différent ?
Nous sommes à présent en 2017. Du temps a passé, et Nolan, comme à chaque fois, s’est renouvelé pour nous présenter sa dernière création. Ici, point de Science-Fiction, de Blockbuster super-héroïque, de tour de magie abracadabrantesque, ou de rêves emboités. Non, car aujourd’hui, nous embarquons au cœur du cauchemar de tout homme : celui de la guerre. Et pas n’importe quelle guerre, puisque ce cher Christopher pose sa caméra dans un lieu emblématique de la plus emblématique de toute les guerres qui soient ; bienvenu à la bataille de Dunkerque, la très connue « Opération Dynamo », pendant la Seconde Guerre mondiale. Derrière, le Blitzkrieg du Reich allemand, bulldozer armé indestructible. Au milieu, les troupes françaises défendent la ville de l’invasion, et les quelques quatre cent mille anglais, pris en tenaille sur la plage, attendent un miracle. Devant, la Patrie. L’Angleterre, que ces troupes peuvent presque apercevoir depuis l’autre côté de la Manche, sans jamais pouvoir l’atteindre.
Nolan nous livre dans un temps record (une de ces œuvres les plus courte) un véritable contre-la-montre, dans une ambiance oppressante au possible. Anxiogène, le film nous laisse pantois, le souffle-court, face à ce déchaînement ininterrompu d'événements s'enchantant tantôt sur la plage et sa jetée, tantôt en mer sur un bateau, tantôt dans les airs, en omniscient accompagnant un pilote de la Royal Air Force. Dunkerque fait partit de cette catégorie très fermée d’œuvre ne laissant jamais une seconde de répit, gardant prisonnier le spectateur d’un maelstrom d’émotions diverses, de sensations floues et jamais vraiment descriptible. C’est un objet brut, qui raconte son propos avec un efficacité rare, sans jamais prendre le temps de s’éloigner la moindre petite seconde de sa ligne directrice. Rien n’est superflus, rien n’est oublié, et surtout, rien n’est épargné.
Les Anglais doivent fuir, la France va tomber. Le pays est si proche, et en même temps si loin, de l’autre côté de cette mer… Les Allemands, jamais visible à l’écran, sont pourtant légion : leurs torpilles coulent les Destroyers, leurs avions bombardent les plages, leurs hommes mitrailles jusqu’aux bateaux. Sans pitié, l’horreur brut de la guerre passe par une absence flagrante de dialogue. Là où d’autres réalisateurs auraient mis en exergue la violence physique impressionnante, Nolan lui a fait le choix de ne pas montrer une seule goutte de sang, de passer sous silence ce trait déjà vu et revu de la guerre, mais d’ouvrir toutes les écoutilles de la violence psychologique. Pression immense et permanente, peur de la mort et de l’inconnu, absence d’héroïsme et de bravoure, tout se succède à une vitesse démentielle, et s’imprime sur notre rétine dans de magnifiques plans d’anthologies, qui feront, et c’est certain, date dans l’histoire du film de guerre.
Les acteurs sont nombreux, car nombreux étaient ces soldats sans histoires, sur cette immense plage de Dunkerque. Nolan fait le choix d’offrir leur chance à de nombreux jeunes, dont l’excellent Fionn Whitehead, ou le très bon Harry Styles. Jamais de véritables héros, ils ne sont que des hommes tentant de survivre au sein de ce chaos innommable. De l’autre côté, de grands noms du cinéma s’occupent de combler les trous, et d’offrir le reste du spectacle, comme si ce n’était pas encore suffisant : Kenneth Branagh excelle dans son habit de commandant, Mark Rylance se montre totalement crédible en petit héro capitaine de son navire, et Tom Hardy dézingue de l’allemand à bord de son Spitfire : on ne verra son visage qu’à la fin du film, lorsqu’il quittera finalement la minuscule promiscuité de son cockpit. Plus d’un millier de figurant viennent compléter cette énorme variété d’acteurs, dont la génération montante côtoie les actuels sommets Hollywoodiens.
La caméra de Nolan reste une perfection, qui n’a d’égale que le talent de Hoyte van Hoytema, directeur de la photographie. Les couleurs sombres si cher à ce réalisateur collent parfaitement à la situation, au lieu ou à l’époque, et complètent parfaitement les propos que l’on tente de nous transmettre : Dunkerque est viscéralement un film que l’on ressent, plus qu’on le vit. C’est un bloc brut, que l’effort de centaines d’hommes talentueux aura transformé en énorme David du cinéma. Et parmi cette foultitude de personnes compétentes, on retrouve bien sûr ce bon vieux Hans Zimmer, compositeur attitré de Nolan depuis un certain temps maintenant. Au menu de nos tympans, nul envolé d’orgue, ou d’explosion de percussions : une fois de plus, le bonhomme se surpasse et se renouvelle, lorsqu’il est en contact avec ce réalisateur. Le temps est cette fois le maître mot, une notion qui maîtrisait déjà Zimmer depuis fort longtemps (un jour j’oserais faire une critique sur « Time », plus belle composition auditive de l’histoire de l’humanité). Le temps qui se resserre de plus en plus, au fur et à mesure qu’avance l’intrigue, et nous fait atteindre des niveaux de stress et de pression incommensurables. L’énormité des cordes et leur force confère à la Bande-Originale une pression totalement inédite, encore bien au-delà du thème composé pour le Joker de The Dark Knight, qui pourtant était un modèle dans le domaine. Car cette fois-ci, on ne parle plus d’un simple leitmotiv qui viendrait à se répéter deux ou trois fois : il est question d’un score complet, une composition uniquement orientée dans le but d’étouffer le spectateur dans une chape de pression représentée par l’accélération du temps. On regrettera juste que cette accumulation de thèmes propres au récit nuise à l’écoute de la Bande-Originale en temps qu’œuvre à part entière. Je doute en effet que la grande majorité des thèmes composé puissent être réutilisé en dehors de leur source d’origine, tant ils sont… « stressant ».
Enfin, dans le registre de l’acclamation, je souhaiterais souligner le souci du détail quant à la reproduction du champ de bataille : Nathan Crowley et Jeffrey Kurland, respectivement aux décors et aux costumes, accompagnent un ensemble d’une crédibilité folle. Le fait que la très grande majorité ai été tourné dans les mêmes lieux que l’histoire qu’il raconte y est pour beaucoup ! L’authenticité a même été poussé jusqu’aux reproductions exact des avions présent dans le film ! Si tout parait vrai à l’écran, c’est uniquement parce que tout EST vrai ! En cela, Nolan réussira toujours mieux que d’autre, tant qu’il boudera le surplus de fonds verts. On notera enfin une gestion assez précise et puissante des sons et sonorités, ainsi que des bruitages, souvent très fort et cassant lors des passages d’avions en rase-motte, ou des pluies de balles, ou souvent très grave et profond lors des explosions. Tout cela entrant directement en ligne de compte dans le processus d’immersion absolu du spectateur.
Aussi bon soit-il, nous restons face à un film de Christopher Nolan. J’y allais donc avec un état d’esprit insoutenable, m’attendant à voir aussi bien qu’Interstellar, il y a trois ans. Au final, non content d’avoir vu quelque chose de radicalement différent, à des années lumières de certains gimmick propre à Nolan, j’ai également vu quelque chose de légèrement moins poignant et marquant. Mes attentes étaient immenses, elles ne pouvaient donc pas toutes finir comblées, et même si la plus grande part de mon être à trouvé de quoi se sustenté en Dunkerque, certains aspects m’ont tout de même légèrement dérangé. Le plus important de tout, celui qu’il convient de mentionner en priorité, vient de la temporalité entre les trois différentes histoires, et de leurs liens, pas toujours bien exploité. Je vais une nouvelle fois devoir faire le parallèle avec d’anciennes œuvres de Nolan, mais la gestion qu’à ce réalisateur au niveau de l’agencement des éléments utiles au récit frisait souvent la perfection : dans Interstellar, tout ce qui était montré finissait par être utile, l’homme ne s’encombrant jamais d’un surplus superflu. Dans Dunkerque, nombreux sont les éléments non exploités, voir même, plus dérangeant, non expliqués, ou trop faiblement développés. On sait que les trois temporalités sont liées, mais on ne sait pas toujours comment, ce qui, à quelques rares moment, participe à détruire littéralement l’immersion que le réalisateur s’est donné tant de mal à bâtir… Un peu dommage. Rajouter à cela une fin qui n’est pas des plus pertinentes face à l’envergure de l’heure et demie la précédent, ainsi que quelques cadrages liés à des soucis de montages (Lee Smith, moins adéquat que sur les précédentes œuvres de Nolan), sur lesquels on peut ajouter quelques acteurs légèrement sous-exploités, et une fameuse action incompréhensible (la blessure infligée par Cillian Murphy (c’est lui, le sous-exploité) n’est là que pour servir les intérêts du récit quant au personnage subissant le coup), et on obtient quelques petits rares défauts, visible uniquement en cherchant du détail.
Pour résumé, disons que Dunkerque est un film choc, oppressant au possible, qui enchaîne ses actions à une vitesse démentielle, afin de ne jamais laisser le spectateur reprendre son souffle. Il confirme une nouvelle fois, si besoin était, l’incommensurable talent dont fait preuve l’immense Nolan depuis le début de sa carrière cinématographique. Un très grand bravo, et à dans quelques années pour de futurs aventures en compagnie du plus grand réalisateur de ces dernières décennies !