Nolan nous fait vivre le transbordement vers l'Angleterre, en fin mai 40, des troupes alliées encerclées et piégées dans la "poche" de Dunkerque par des troupes allemandes deux fois supérieures en nombre (400.000 Franco-Britanniques contre 800.000 Allemands, d'après Wikipédia) et nous le fait vivre de trois points de vue et trois laps de temps différents (une semaine, un jour, une heure, comme précisé par des incrustations successives en début de film) qu'il alterne, tresse, monte en virtuose... pour donner, en 107 minutes extrêmement denses, un film mouvementé et impassible, aussi maîtrisé qu'impressionnant, et de fort belle facture.
Le point de vue privilégié est celui de Tommy ("miraculeusement" interprété par Fionn Whitehead), un simple soldat du Corps Expéditionnaire Britannique, qui, conformément à l'ordre de ré-embarquement donné par Churchill et l'Etat-major anglais à leurs troupes, cherche à trouver un bateau, destroyer ou autre, qui le ramène en terre anglaise. En sa compagnie et celle de quelques autres soldats de ce Corps Expéditionnaire, on va vivre les péripéties tumultueuses et pleines de péril de cette retraversée de la Manche, depuis les plages de Dunkerque pilonnées par la Luftwaffe, jusqu'à leur bonne arrivée (pour certains d'entre eux) de l'autre côté du détroit du Pas de Calais.
Un deuxième point de vue met en scène le Moonstone, un bateau de plaisance de 8-10 mètres de long réquisitionné (comme des centaines d'autres) par l'amirauté de la Royal Navy pour aider au transbordement des troupes alliées encerclées. Ce petit bateau motorisé (mais disposant, au besoin, d'une voile) a, pour tout équipage, son propriétaire anglais déjà avancé en âge (Mark Rylance), son jeune fils et un copain de celui-ci (tous deux à peine sortis de l'adolescence). Parti de Weymouth, port de plaisance du Dorset anglais, le Moonstone traverse bravement la Manche en direction de Dunkerque, où la guerre fait rage sur terre (aspect que le film n'esquisse qu'au tout début), sur mer (car des sous-marins allemands sont sur les lieux) et dans les airs.
Les airs, c'est le troisième fil ou point de vue de l'histoire. Il raconte celle des pilotes (dont Tom Hardy) de trois Spitfire de la Royal Air Force. Leur mission est de contrecarrer les attaques et bombardements de la Luftwaffe sur les troupes et bateaux alliés participant à l'Opération Dynamo d'évacuation et d'abattre le plus possible de ces bandits allemands (Messerschmitt ou Heinkel). Les trois pilotes britanniques vont connaître des destins divers...
Encore une fois, ces trois points de vue n'ont pas la même durée de temps (de quarante-huit heures à une semaine pour Tommy et l'ensemble des soldats du CEB suivis par le fil principal ; une journée pour le petit équipage du bateau de plaisance "réquisitionné" ; une heure ou un peu plus pour les pilotes des Spitfire qui sont tributaires des limites de leur réservoir d'essence), mais le montage du film gomme complètement cette différence, pour ne donner qu'une seule et même histoire, vue de divers côtés (avec une duplication parfois un peu déconcertante de certaines péripéties), donc progressant de façon heurtée et fragmentée mais, néanmoins, à peu près cohérente et compréhensible.
La mise en scène de cette page historique, à la fois mystérieuse (pourquoi cette retraite stratégique ? pourquoi ne pas se battre à un contre deux ?), honteuse (cette évacuation aux allures de débâcle est "un désastre militaire colossal", selon les termes mêmes de Churchill) et malgré tout glorieuse (toute cette flottille britannique notamment, une nuée de petits bateaux, venue offrir une sortie de secours aux armées piégées à Dunkerque, est admirable de cran, de dévouement et d'esprit patriotique), est magnifiquement orchestrée, sans d'ailleurs que les moyens financiers mis en oeuvre paraissent illimités. Le film n'a rien de pharaonique : on ne voit pas 400.000 hommes piégés sur les plages du Nord (3 ou 4 mille tout au plus, mais c'est déjà pas mal), on ne voit pas une nuée d'avions dans le ciel dunkerquois, pas plus que des tapis de bombes ou des déluges de feu. Et on ne voit quasiment pas les forces allemandes. Nolan a pris le parti de filmer au plus près des hommes et de leurs réactions. Le métrage, malgré l'entrelacement des fils du récit, reste simple et relativement lisible. Le réalisateur nous donne comme une guerre épurée (ce n'est pas un film de guerre, a-t-il d'ailleurs insisté, c'est un "survival") et il est vrai que les épisodes sanglants sont rares.
Les événements décrits laissent plutôt le sentiment de quelque chose d'immense, d'absurde et d'immensément bête (bête comme la mort de Georges, ce jeune homme de dix-sept ans qui meurt d'un coup violent reçu en plein visage lors d'une empoignade obscure entre personnes du même bord, alors que le Moonstone se rapproche de Dunkerque). C'est probablement la raison pour laquelle l'histoire racontée ne montre quasiment pas les méchants, comme s'il n'y en avait pas, comme si la faute de tout cela incombait, non pas aux hommes, mais à la fatalité (il est vrai que celle-ci a bon dos !).
Film de guerre ou "survival", Dunkerque ne manque pas de séquences fortes. Pour moi, les plus impressionnantes sont celles qui montrent les soldats coincés à l'intérieur de bateaux (frappés à mort par des bombes ou torpilles ou autres) et qui essaient désespérément de s'extirper de leurs flancs, alors que des masses d'eau envahissent et submergent tout et tous. Cela donne des prises de vue sous-marines (ou au milieu des flots) à couper le souffle, intensément dramatiques.
Le film est sous haute tension, une tension si constante que ça en est presque fatigant. Je ne suis pas sorti abasourdi de la projection (pas non plus transporté ou bouleversé comme il m'arrive parfois), mais j'étais comme lessivé.
Et cependant, je sais que j'y retournerai. Pour apprécier, admirer une nouvelle fois la structure, la mise en scène, la photographie, le montage-images, la bande son, la puissance et sobriété de l'ensemble, toutes choses qui, tous comptes faits, font du Dunkerque de Nolan un discret mais indiscutable chef d'oeuvre.