Les esprits étriqués, une fois rassemblés, se persuadent rapidement d’être les vecteurs communs d’une vérité que leur infaillible bon sens édicte sans détour. Dupont Lajoie, c’est une satire noire, très corrosive, qui en met plein la tronche à tout le monde : aux racistes francs du collier, aux petits bourgeois confortablement assis dans une aisance financière qu’ils assimilent facilement à une supériorité intellectuelle, aux institutions qui n’agissent que dans leur bon intérêt mais aussi, et surtout, à vous, à moi, à nous qui pouvons perdre la tête en moins de temps qu’il n’en faut pour se laisser corrompre par un mouvement de foule.
Le portrait que dresse Boisset d’une France bien trop sure d’elle, qui se donne le droit de juger l’autre, simplement parce qu’il est différent, est fait au marteau-piqueur. Pourtant, malgré cet ouvrage on ne peut plus brutal, chaque dialogue, aussi répugnant soit-il, sonne le glas d’une triste, car possible, réalité. La galerie de personnages que développe le cinéaste compose une humanité marchant avec des œillères qui glace le sang parce qu’elle semble palpable. On a tous connu ce genre de personnage, si ancré dans ses certitudes que crier haut et fort ses idées radicales lui semble un droit fondamental.
Mais, une fois bien en place sa satire esquissée à la brosse métallique, Boisset fait basculer son film et se sert des grosses personnalités qu’il a composées pour illustrer un phénomène de société qui fait froid dans le dos : l’élan de groupe. Ou comment quelques meneurs aux idées fumeuses parviennent à générer une violence de haine massive en profitant d’une situation bien particulière. Dans cet esprit, la fin de Dupont la joie, cette ratonade ignoble qui file la nausée, fait penser au Fury de Fritz Lang qui avait également imagé, de la même manière, la mise à mort d’un innocent par une foule en colère.
A ceci près que dans le cas de Dupont Lajoie, Boisset noircit encore plus le trait de son histoire puisqu’il place son spectateur dans la peau du plus détestable de ses personnages. Jean Carmet, impérial salopard, est celui qui permet à l’histoire de se mettre en place. C’est le personnage central du film, celui qu’on déteste avec tendresse pendant une bonne demi-heure et qu’on vomit lorsque l’inimaginable survient. Bien malin celui qui pourra prévoir ce point de pivot qui fait basculer Dupont Lajoie de la satire féroce vers le drame oppressant.
Dupont Lajoie est un film dense, parce qu’il tire à boulets rouges sur des mentalités qui sont encore aujourd’hui de circonstance, mais qui en 1975 étaient bien délicates à pointer du doigt. Pour preuve, les conditions de tournage ont été aussi virulentes que le film, et il a certainement fallu à Yves Boisset un caractère bien trempé pour aller au bout de son entreprise. En l’état, son film est une sacrée taloche, qu’on se prend dans la tronche avec un certain malaise. Hormis sa fin qui m’a un peu ennuyé —on sent la sentence un peu gratuite que le cinéaste ne savait pas trop comment amener, alors qu’un dénouement encore plus noir, dans laquelle Carmet s’en sortirait vraiment, aurait été encore plus véhément—, Dupont Lajoie est un sacré morceau du cinéma français qui vaut vraiment la découverte.
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