La guerre, le beau et l'ignoble
Eau argentée peut être vu comme une réflexion sur le cinéma de guerre, le vrai : l'émergence de l'accès aux nouvelles technologies crée de nouvelles images, mais quel peut être leur rôle dans la création d'un long-métrage? Le fil conducteur du film est bien la réalisation d'une oeuvre cinématographique drapée de poésie dans un contexte où la brutalité efface toute dimension artistique de l'existence. Se pose toutefois la question de l'origine des images. Fiction ? Certainement pas. Eau argentée reste dans le vrai. Le film se déploie en deux parties : dans le premier volet, les participants anonymes au conflit, smartphone au poing, sont les auteurs des images. Mais les imperfections de ces courtes vidéos illustrent à elles seules le caractère balbutiant de ce vecteur. Le film passe alors à la vitesse supérieure : il faut un véritable cinéaste aux manettes. Mais comment le cinéaste peut-il être aux commandes tout en étant absent ? Le second volet est ainsi le fruit d'une collaboration entre un maître coincé en France (Ossama Mohammed), et une disciple coincée en Syrie (Wiam Simav Bedirxan). Ces deux démarches artistiques débouchent sur des résultats proches : les réalisateurs ont fait le choix de s'extraire presque totalement des explications socio-politiques et historiques que l'on rencontre dans les documentaires traditionnels, pour se focaliser sur le ressenti d'un enfer. Un enfer que la dialectique ne peut décrire, et qui ne s'illustre que par le sentiment. L'abstraction est par moments trop forte, et laisse le spectateur s'échapper. Mais le pari est globalement très réussi : l'habile superposition du plus ignoble, du plus choquant, du plus triste et du plus beau ne guide pas nos sentiments. Ces derniers émergent d'eux-mêmes, d'une manière souvent déconcertante pour les spectateurs. Une force surhumaine ressort de ce film, se matérialisant en une envie de résistance à l'ignoble, au choquant et au triste. Pour que le beau, lui, ne soit pas cantonné aux sièges confortables de Cannes où les deux metteurs en scène se sont rencontrés pour la première fois, trois ans après le début de ce fantastique projet.